Ici, chaque matin nos corps passaient de la 9 à la 6 à Nation. Là-bas, les fenêtres semblaient plus vastes quand elles avaient une page devant des yeux ouverts. Si près de nous, l'ordre des lois et les avis de sécurité contre nos quatre sans nom. Tu parleras plus tard de là où nous étions.
Ici, chaque matin à quelques minutes près, nos corps se collaient coûte que coûte à la vitre. Là-bas, les pages étaient offertes au spectre infini du regard. Si près de nous, l'âme étroite se signe au-delà du geste qui rectifie l'arme à l'oeil. Tu parleras plus tard des regards aveugles.
Je ne veux plus de cette lampe à la fenêtre, des barreaux, des persiennes, abri des secrètes luxures.
Ici, chaque matin (jamais le soir) nos corps avaient rendez-vous avec une femme debout sur son balcon étroit, porte-fenêtre ouverte derrière elle, les deux bras levés (salut, incantation, signe désespéré, gymnastique ?). Là-bas, on s'enfumait dans un réalisme spongieux qui ramassait la tourbe et le lierre. Si près de nous, le coccyx est à moitié rongé de l'intérieur. Tu parleras plus tard de ce qui se tramait.
Ici, chaque matin (douzième ou treizième étage ?), nos corps ne sont jamais parvenus à se mettre d'accord mais ce repère, si, la femme en rouge, la seule à lever les bras, ils ne la manquaient jamais. Là-bas, les corps, on les regardait les yeux fermés, le soleil dans le dos ou mieux encore : à contre-jour. Si près de nous, chaque emplacement du cimetière est en passe d'être géolocalisé. Tu parleras plus tard du nombre de minutes avant le signal.
Je ne suis plus derrière la vitre où se brisait sa gerbe et le bric-à-brac confus.
Ici, chaque matin pendant près d'une semaine, nos corps ne parvenaient plus à lire. Là-bas, on rêvait de quoi, pastorale au réel enfumé ? Si près de nous, secrétions, transferts, rémissions, squelette face-profil, amygdales ôtées le premier de chaque mois au lasso dans une chambre où se pressent les acolytes alcooliques en but aux mêmes items. Tu parleras plus tard du rêve interrompu.
Ici, chaque matin, dix stations, sous terre d'abord avant de filer dans le vent. Là-bas, imaginer nous rendait plus saouls encore, vertigineux. Si près de nous, les fenêtres ouvertes-fermées, horizon bouché, les vies intérieures zappées. Tu parleras plus tard du nombre de voitures au mètre carré.
Je ne suis pas de ceux qui brillent aux carreaux.
Ici, chaque matin, Picpus, Bel-Air, Daumesnil, Dugommier, Bercy, Quai de la Gare, Chevaleret, Nationale, attention on approche de la Place d'Italie. Là-bas, des lampes s'éteignaient. Si près de nous, ce laps de temps où rien n'est aboli, où ça fleure bon l'austérité et le mauvais passe-temps. Tu parleras plus tard des têtes à queues, des nez à culs, des bêches.
Ici, un matin plus rien, un mardi plus personne après Corvisart. Là-bas, on ne savait pas ne pas enfouir. Si près de nous, le fusil fier d'être armé se tient bien droit dans l'entrée. Tu parleras plus tard de la radio qui annonce parfois le pire.
Je vous laisse fermer partout portières et volets.
Ici, le nez à la vitre, depuis que ce corps devant la porte-fenêtre a disparu, nos corps ne le font plus. Là-bas, on se pliait en deux pour voir quoi encore ? Si près de nous, le frigo ne ronronne plus en cadence depuis que des membres se congèlent dans les sacs Prisunic. Tu parleras plus tard de l'élégance des lignes brisées.
Ici, nos corps ne peuvent plus. Veulent plus. Mal armés pour ça. Pas coordonnés. Là-bas, comment savoir ? Si près de nous, combien de mètres de sparadraps à avaler avant que les fenêtres ne s'ouvrent ? Tu parleras plus tard du corps sur le balcon que tu n'as pas vu tomber près de Corvisart.
Je ne guérirai pas à côté de la fenêtre.
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Tout ce qui apparaît en italique est emprunté à Charles Baudelaire.
Le texte "silence radio", créé spécialement sur Fenêtres Open space dans le cadre des vases communicants de novembre 2010, sera intégré plus tard aux corps pluriels, série débutée en septembre 2010 sur déboîtements.
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Ce texte a été écrit par Christophe Grossi dans le cadre des Vases communicants, ensemble polyphonique initié par Tiers Livre et Scriptopolis. Le principe : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d'un autre. Ne pas écrire pour, mais écrire chez l'autre.
Pour découvrir ma proposition de novembre, c'est par ici.
Ci-dessous, la liste des 12 autres échanges du mois. Un Merci chaleureux à celle qui les réunit, Brigitte Célérier.
Brigitte Célérier et Piero Cohen-Hadria
Pierre Ménard et Daniel Bourrion
Isabelle Butterlin et Lambert Savigneux
Cécile Portier et Joachim Séné
Marianne Jaeglé et Olivier Beaunay
François Bon et Bertrand Redonnet
Landry Jutier et Jérémie Szpirglas
Anita Navarrete-Berbel et Lauran Bart
Juliette Mezenc et Christophe Sanchez
Murièle Laborde Modély et Sam Dixneuf-Mocozet
Matthieu Duperrex et Scriptopolis
Arnaud Maisetti et Laurent Margantin