Comme c'est le cas dans
Anamarseilles dont je vais reparler bientôt, tout commence par un cadeau. Tout, c'est-à-dire le texte, l'idée d'une fiction, les premières notes, la réflexion, même, sur la matérialité de l'écriture. Le carnet ci-dessus m'a été offert par une de mes soeurs et son compagnon alors que la résidence de
L'aiR Nu à Moret commençait à peine. Sa couverture scintille, la texture et la couleur de ses pages varient, il est grand, il est mince, il est bleu, il est beau, trop beau ai-je pensé au départ : jusqu'à présent, les seuls carnets un peu sérieux que j'ai tenus ont toujours été de ceux qu'on trouve au rayon scolaire des Monoprix, jamais chez des papetiers chic. La trop grande beauté paralyse : est-il possible de passer outre ?
J'ai décidé d'essayer. De m'astreindre, chaque jour, à remplir une page du carnet, sans hésiter, sans reprendre ma respiration ou presque. J'écris : quelque chose doit apparaître et se développer sur la totalité de la page, sans rature. Est-ce que ce sont des notes de voyage, un journal personnel ? Non. Est-ce que j'utilise pourtant ce que je croise, vois, lis, vis dans la journée ? Oui. Est-ce qu'une fiction se dessine ? Oui. Est-ce que je suis contente de mon texte sans rature ? Non. Est-ce que je le relis ? Non, presque pas. Est-ce que je le retravaille pour l'instant ? Non. Est-ce que je vais le retravailler à un moment ? Sans doute (dire oui à ce stade aurait quelque chose de statique. Or il faut rester en mouvement). Est-ce que c'est grave de n'être pas contente ? Non. Est-ce que j'arrive à écrire tous les jours ? Non. Est-ce que je suis contente quand même ? Oui.
Il y a, pendant ce temps, bien d'autres choses, dont les lectures. Les pages que vous voyez ne sont pas celles du carnet ouvert. Ces dessins proviennent du nouveau livre de
Virginie Gautier,
Ni enfant, ni rossignol, paru il y a quelques jours aux éditions joca seria dans la même collection que mon
Ile ronde. C'est un texte d'une grande beauté qui capte les silences, les mouvements des animaux, des végétaux, des hommes autour du lac de Grand-lieu. Une jeune fille court, un adolescent se cache, des enfants s'inventent des vies... On peut y lire,
par exemple :
Extension des surfaces vierges de traces. Les prairies sont remplies de flaques qui se soudent jour après jour. L'eau se referme sur chaque monticule et l'isole. Territoire de fugitifs, le marais redevient marais. Les marcheurs ne sont pas encore chassés par le froid. Une troupe d'enfants court encore, après l'école, vers une cabane couverte de chaume, de roseaux arrachés en pagaille.
Plus loin
Des branchettes jetées par le vent forment des signes au sol, une archéologie du sauvage, ils évitent de marcher dessus. Y voient des ossements d'oiseaux, des flèches, des indications. Les couleurs peu à peu virent au gris. Vert-de-gris, gris souris, gris loup. Les sentiers disparaissent. Les promeneurs éprouvent progressivement ce sentiment d'usurpation, d'empiétement sur un monde méconnu.
ou encore
Fixer un point pour tomber doucement dans le paysage. Comme l'eau, faire couler la pensée hors du regard avant de dessiner. D'enregistrer sur des dizaines de dessins les attitudes passagères, toujours changeantes, du paysage.
Toutes phrases qui auront peut-être une influence sur mon texte en cours le jour où le personnage du carnet bleu s'arrêtera quelque part et que pour l'instant je poste sur Facebook avec l'espoir de faire connaître le livre à quelques un(e)s.
En attendant, après Saint-Mammès, petit passage à Moret, par la gare et par le musée municipal dans lequel il a été possible de travailler un peu, hier.
(pendant que tu fais le tour sainte Anne regarde au loin et sainte Barbe approche)