Dimanche La grande salle est comble, à la Cinémathèque de Paris, pour la diffusion de Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles, de Chantal Akerman, film que je n'avais jamais vu et dont je ne connaissais pas la fin. Expérience hypnotique, fascinante, voilà nos regards transformés par 3h20 de projection durant lesquelles chaque élément, qu'il soit dans le cadre ou non, devient l'objet d'une attention extrême. A quoi ressemble l'intérieur des placards perpétuellement ouverts, perpétuellement fermés, de la cuisine ? Que voit-on de la ville à la fenêtre du salon ? A quoi correspondent les éclairages qui, de nuit, balaient l'appartement ? Que font Jeanne et son fils lorsqu'ils sortent le soir ?
Outre le travail sur l'image, le cadre radicalement fixe, les objets personnages (la soupière, que l'on voit ou non, en entier ou non, mais qui nous obsède par exemple), la minutie avec laquelle sont traités les sons, les bruits me fascine.
Quand on rentre chez soi, débarrasser la table, ranger les couverts dans un tiroir deviennent à leur tour une expérience. On se sent Jeanne Dielman.
Lundi Retravailler l'enregistrement effectué lors de l'atelier d'écriture à Chartres puis l'envoyer aux participants, écouter l'enregistrement pris dans le train du retour (comment peut-on l'utiliser ?), trier, ranger le dossier de résidence. Voilà, c'est fait. Puis j'essaye de sortir Marilyn de sa piscine. Seulement, j'ai promis de retourner dans les beaux quartiers cet après-midi. Et finalement le dossier Chartres n'est pas si bien rangé. Bon.
L'après-midi, mon camarade des beaux quartiers et moi-même convenons que pour l'instant, j'ai beaucoup de travail et que lui n'a plus besoin de moi (quelqu'un d'autre se charge, parfaitement, de ce qu'il y a à faire). C'est une rencontre douce, peut-être la dernière, peut-être non. Les choses sont en ordre : je ne l'abandonne pas, il ne me chasse pas. Tout va bien.
"Atelier de fabrication de ficelles, de câbles et de cordes"... Je reste une heure, puis passe au bureau de L'aiR Nu et trouve dans la boite aux lettres le dernier livre de Christophe Grossi, Corderie, qui vient de paraître aux éditions de l'Atelier contemporain. L'aiR Nu avait consacré une page à Ricordi, le précédent ouvrage de Christophe : merci à lui, comme à l'éditeur, d'avoir pensé à nous.
(voulez-vous notre adresse ? Nous sommes au 72 rue de l'Assomption, Paris 16e, mais oui)
Ménage dans mon enregistreur.
Jeanne Dielman me reste en tête.
Mardi, mercredi Ranger déranger arranger s'arranger, quand le programme change faut-il toujours s'adapter ? Comment préparer ce qui vient ? Faut-il se préparer, toujours, à ce qui arrive, risque de ne pas arriver ?
Je prépare une balade sonore dans l'avenue Mozart, à Paris, qui ne donnera peut-être rien (mais j'ai promis). Je prépare la performance de jeudi avec Magali Albespy à la librairie L'Esperluète en choisissant des extraits de Volte-face, le livre sur Marilyn (je me prépare aussi à lire ce que personne n'a jamais lu ni entendu). Je prépare l'atelier des Buttes-Chaumont de samedi en apprenant qu'il va faire grand froid, que tout cela sera peut-être vain. Je prépare les 36 secondes en avance pendant les repérages. J'enverrai samedi un passage de Volte-face à la revue Terres d'encre de l'Université de Clermont-Ferrand (j'ai promis, autre chose mais c'est ce qui est venu).
Et ma vie à venir, je m'y prépare aussi ? Oui, non, comment ?
jeudi J'emporte dans mon sac des accessoires pour Magali : un petit sac à main années 50 dans lequel je retrouve mon billet d'avion pour Mexico, un boa noir, un chapeau noir. Magali, de son côté, a pris de quoi faire du son, permettre des rencontres. Nous travaillons d'arrache-pied l'après-midi dans une salle isolée. A peine une demi-heure de pause et voilà qu'a lieu, dans la galerie photo, notre performance. Fauteuil, tabouret, station debout. Lire, se taire, écouter, regarder Magali sortir une fausse bouche rouge, enfiler lentement une paire de chaussures à talons, se parer pour finir d'une guirlande électrique dans la semi-pénombre. Nous passons d'une usine d'armement au studio photo de Milton Greene, de 1944 à 1956, le temps d'une lecture. La première partie de la performance est écrite, la seconde plus improvisée. Je dois lancer une insulte (ce qui n'est pas allé sans questionnement de ma part), le fais au bon moment me dira ensuite Magali, à l'instant précis où elle peut l'entendre.
C'est une de mes récompenses, tout comme le remerciement pour la créativité et l'énergie reçu à la fin de la part d'une spectatrice. Nous avons travaillé vite et intensément, peut-être parce que nous nous connaissons, peut-être aussi parce que nous "pratiquons" (verbe que Magali aime bien) depuis longtemps. On ne se rend pas toujours compte, je crois, de ce qu'on fait fructifier chaque jour dans nos petits laboratoires.
(jeudi ou dimanche de la semaine prochaine, je retournerai pratiquer avec elle, joie)
vendredi Le matin, nous voilà à la radio avec Olivier L'Hostis. C'est vraiment un plaisir, ces émissions me manqueront quand la résidence sera finie (le premier épisode est ici). Quand nous reprenons le train, avec Magali, nous sommes à a fois contentes et épuisées. Le paysage défile en panoramique. On le regarde sans le regarder.
samedi En attendant d'animer les trois heures d'atelier aux Buttes Chaumont et à la bibliothèque Villon, j'envoie les extraits de VF à la revue Terres d'encre, qui les accepte. La semaine prochaine, rien ne me lie à l'extérieur, pour une fois. J'ai prévu de terminer mon livre, de ne pas répondre aux mails, de ne plus exister pour personne. Enfermée à mon tour dans la boîte noire du photographe.
Finalement, l'atelier, qui commence par une balade avec lectures dans le parc, se poursuit par une séance d'écriture dans la bibliothèque fermée au public, se passe tout en douceur.
(photo de @zenodote pour la bibliothèque Villon. Pierre Ménard, grâce à qui cet atelier a pu exister, évoque ces trois heures ensemble dans Liminaire ce dimanche)
Dimanche matin Ciclic a mis en ligne des éléments sur le projet Bruits. Il est temps de conclure, et de commencer.