Il y a des jours où je me dis qu'il vaut mieux aller nager qu'entamer ce billet de blog énervée ou inquiète, et j'espère que pendant les longueurs une ou deux choses vont s'arranger.
Parfois ça arrive. Alors je ne poste ici que ce qui avance, permet d'avancer, faisant abstraction du reste, pourtant présent bien sûr.
Ai-je raison ou tort ?
Ciel ? Terre ? Jouer à la Marelle, lancer un caillou, sauter par-dessus les cases ?
Après quelques brasses arrive par Twitter ce lien d'un universitaire de Montréal, Marcello Vitali-Rosati vers un article qu'il consacre à Laisse venir. Il y est écrit : La Littérature ouvre une voie/un passage afin de structurer le monde. Si Google maps est un outil qui risque de devenir la structure architecturale de notre monde (la seule, la vraie), la littérature est un geste de réappropriation : l'écriture de Pierre Ménard et d'Anne Savelli produit autrement l'espace entre Paris et Marseille, de sorte que Google ne soit pas le seul à le structurer. Car l'espace est une série de relations entre objets, des relations que nous créons en habitant cet espace même. Et l'écriture est justement une production de relations.
Ou encore, à la fin du billet : La rencontre avec les autres et la superposition de plusieurs voix est très présente dans les textes d’Anne Savelli. Une fusion de voix, un texte multiple, un je qui devient tu, un parler qui devient laisser parler.
Comme d'autres, je m'inquiète de savoir ce qu'on peut comprendre de mes derniers textes - et des prochains, nécessairement. Ce "laisser parler" que Marcello Vitali-Rosati perçoit, à l'oeuvre dans Laisse venir en effet, je suis heureuse qu'il le remarque : alors que j'aurais pu me contenter de décrire des souvenirs ou d'effectuer un tracé logique d'une ville à l'autre, j'ai voulu tenter autre chose, laisser le présent de l'écriture, ses obsessions, ses distorsions traverser le texte. Je n'ai pas pu faire autrement, d'ailleurs : des strates composaient le voyage, de temps mais aussi des mouvements intérieurs, des tiraillements, des questionnements dont je voulais restituer le niveau de complexité. Qui me parle, au moment où j'écris ? Comment agissent les livres lus, la vie personnelle, la déambulation dans Street view, la fiction que les images proposent, les réminiscences, les oublis ? Que faire des réflexions que je peux mener de mon côté sur le personnage ou le décor dès lors qu'elles tapent à la porte, s'invitent dans le texte, insistent ? Faut-il les écarter pour ne suivre qu'un fil ? Et lequel ? Peut-on, dans ce type de projet, ne suivre qu'un fil ? Est-ce intéressant ? Et comment Laisse venir traverse-t-il, de son côté, le présent de l'écriture ? Elles se sont imposées, ces strates, sont devenues le véritable cheminement. Faire virtuellement le trajet Paris-Marseille, si virtuel signifie "qui n'est qu'en puissance, qu'en état de simple possibilité" et/ou "qui comporte en soi-même les conditions de sa réalisation : potentiel, possible" (définitions du Larousse) c'est s'ouvrir à tout ce qui peut constituer le voyage, oui.
Nage en ligne droite pour écrits sinueux, n'est-ce pas ?
Auparavant, avant la piscine où j'ai tenté de noyer les inquiétudes sur la vie matérielle de mes livres (et la mienne), avant la découverte de l'article également, j'ai fait quelque chose qui m'a procuré une très grande joie : j'ai terminé la relecture du Journal du Blanc, version papier des articles que j'avais postés ici au printemps, texte augmenté, retravaillé, et je l'ai envoyé à une première lectrice qui se reconnaîtra.
On passe des semaines, des mois, parfois des années sur un texte et brusquement, voilà, on s'en délivre. On fait place nette. Bien sûr rien n'est jamais fini, et même publié un texte ne se laisse pas oublier. Mais il y a un instant (ici, une minute), de légèreté, de douceur, avant les questions, voire les doutes.
Ce qui m'a inquiété, dans le JdB, contrairement à Laisse venir et à Ile ronde, c'est la trop grande facilité avec laquelle il est arrivé jusqu'à moi : jamais contente, n'est-ce pas ?! Il n'est effectivement pas très compliqué : j'y raconte surtout ce que je fabrique au logis du gardien du palais de justice du Blanc, c'est-à-dire lire, écrire, traverser les pièces une tasse de café à la main en me demandant ce que je fabrique, attendre la BOX, faire des photos, colorier les sets de table du café du Centre, animer des ateliers au lycée, aller voir le coucher de soleil. Passer des articles postés ici, avec liens et photos, à un texte "papier" qui les introduit, les précise, a modifié quelque chose cependant : le statut de ce qui n'est pas dit.
Mais j'y reviendrai, peut-être...