J'ai, sur mon téléphone et mon ordinateur, une alerte pour me rappeler de lire en continu, chaque jour, ce que je fais rarement alors que je pourrais. Je le regrette et je garde l'alerte. Quand j'arrive à lire longuement quelque chose, je suis satisfaite mais ça n'a plus de rapport avec ces lectures que je faisais étudiante, au sixième étage à Jourdain ou à Oberkampf lorsqu'il fallait, pour la fac, lire le plus possible. Je lis autrement. Moins ? Moins attentivement ? Je ne sais pas du tout. Est-ce que les livres sont moins présents dans ma vie ? Certainement pas.
Quand j'écris mon livre sur Marilyn j'ai tendance à chercher les informations sur internet alors que des piles de livres sur le sujet m'environnent. Pourquoi ? Flemme de les ouvrir ? Désir de trouver autre chose, de ne pointer qu'une seule information qui me permettra de lancer ma phrase ? Espoir de dénicher du neuf ? De ne pas se laisser attraper par toute la biographie ? Je crois que oui, tout cela à la fois.
Quand je suis sur internet, une partie de ma recherche est également destinée à trouver de nouveaux livres.
Cependant, comme je n'ai pas d'argent en ce moment je n'achète plus aucun livre, ou presque. Là, j'en attends un des Etats-Unis, qui m'a coûté six euros, mais ce sera tout. Je l'ai commandé par Amazon, parce que c'est une occasion, pas chère, un livre américain introuvable ici, et que j'en ai besoin pour écrire (pure description : je ne cherche pas à me justifier mais à observer le processus. Je n'achète jamais de livres neufs sur Amazon, par ailleurs. Mais j'habite à Paris, c'est facile).
Cette impossibilité d'acheter des livres me pousse à ne plus entrer dans les librairies, à hésiter à me rendre à une lecture parce que je ne pourrais pas acheter le livre de l'auteur. A ne pas soutenir autrement que symboliquement les projets des autres. Le monde se réduit au fur et à mesure.
Il se rouvre et s'élargit grâce aux bibliothèques qui, à Paris, sont gratuites. Je fréquente Villon, Truffaut, parfois Duras, Parmentier, Goutte d'or. Mais ce n'est pas équivalent.
Ce n'est pas la même chose.
C'est trouver d'autres livres, ne pas hésiter à se tromper. Ne pas découvrir assez de petits éditeurs. Ne pas être poussée à se tenir au courant de "l'actualité" littéraire dans son ensemble. N'avoir qu'une semaine pour lire un livre récent, l'emprunter, le rendre parfois sans l'avoir lu. C'est avoir testé la bibliothèque numérique pour accéder au dernier Annie Ernaux. Avoir apprécié. Pas encore recommencé. Penser le faire pour le dernier Laurent Mauvignier. Une chose est sûre : plus j'emprunte de livres, plus j'en lis.
Et puis il y a les lectures à voix haute. J'avoue que, pour gagner ma vie, j'en ferais volontiers davantage, parce que j'adore ça (tout comme travailler le son pour L'aiR Nu). Lire mes textes en public, ça ne m'est pas arrivé depuis un moment, devrait reprendre au printemps avec la sortie de Décor Daguerre, le plus possible j'espère. Lire les autres, c'est lire tout court, puis réfléchir, écouter, confronter, réessayer... Les 36 secondes de ce vendredi, je les ai pensées pour qu'elles nous donnent un peu d'élan, par exemple.
Il y a également toutes ces voix (nous sommes quinze désormais) qui lisent en français ou en turc les livres d'Asli Erdogan : c'est ici. Et c'est si précieux de se sentir ensemble.
Mardi prochain, je lirai le texte de quelqu'un d'autre, en l'occurrence des extraits de Ce qu'il faut de Corinne Lovera Vitali. Cela n'aura rien à voir avec les 36 secondes. Je sais déjà que ce sera une expérience très forte, peut-être déstabilisante, comme quand je lisais Franck en public. C'est un travail au millimètre. J'essaye de m'y préparer.
Parfois la lecture englobe, enveloppe, propulse et rassure à la fois (c'est le Walt Whitman de mes 36 secondes). Parfois, elle est là, à vous secouer dans tous les sens. Attachons nos ceintures. Allons.