samedi 26 novembre 2016

Lectures (us et coutumes du temps présent)















J'ai, sur mon téléphone et mon ordinateur, une alerte pour me rappeler de lire en continu, chaque jour, ce que je fais rarement alors que je pourrais. Je le regrette et je garde l'alerte. Quand j'arrive à lire longuement quelque chose, je suis satisfaite mais ça n'a plus de rapport avec ces lectures que je faisais étudiante, au sixième étage à Jourdain ou à Oberkampf lorsqu'il fallait, pour la fac, lire le plus possible. Je lis autrement. Moins ? Moins attentivement ? Je ne sais pas du tout. Est-ce que les livres sont moins présents dans ma vie ? Certainement pas. 













Quand j'écris mon livre sur Marilyn j'ai tendance à chercher les informations sur internet alors que des piles de livres sur le sujet m'environnent. Pourquoi ? Flemme de les ouvrir ? Désir de trouver autre chose, de ne pointer qu'une seule information qui me permettra de lancer ma phrase ? Espoir de dénicher du neuf ? De ne pas se laisser attraper par toute la biographie ? Je crois que oui, tout cela à la fois. 
Quand je suis sur internet, une partie de ma recherche est également destinée à trouver de nouveaux livres.



















Cependant, comme je n'ai pas d'argent en ce moment je n'achète plus aucun livre, ou presque. Là, j'en attends un des Etats-Unis, qui m'a coûté six euros, mais ce sera tout. Je l'ai commandé par Amazon, parce que c'est une occasion, pas chère, un livre américain introuvable ici, et que j'en ai besoin pour écrire (pure description : je ne cherche pas à me justifier mais à observer le processus. Je n'achète jamais de livres neufs sur Amazon, par ailleurs. Mais j'habite à Paris, c'est facile).

Cette impossibilité d'acheter des livres me pousse à ne plus entrer dans les librairies, à hésiter à me rendre à une lecture parce que je ne pourrais pas acheter le livre de l'auteur. A ne pas soutenir autrement que symboliquement les projets des autres. Le monde se réduit au fur et à mesure. 




















Il se rouvre et s'élargit grâce aux bibliothèques qui, à Paris, sont gratuites. Je fréquente Villon, Truffaut, parfois Duras, Parmentier, Goutte d'or. Mais ce n'est pas équivalent. 
Ce n'est pas la même chose.
C'est trouver d'autres livres, ne pas hésiter à se tromper. Ne pas découvrir assez de petits éditeurs. Ne pas être poussée à se tenir au courant de "l'actualité" littéraire dans son ensemble. N'avoir qu'une semaine pour lire un livre récent, l'emprunter, le rendre parfois sans l'avoir lu. C'est avoir testé la bibliothèque numérique pour accéder au dernier Annie Ernaux. Avoir apprécié. Pas encore recommencé. Penser le faire pour le dernier Laurent Mauvignier. Une chose est sûre : plus j'emprunte de livres, plus j'en lis.














Et puis il y a les lectures à voix haute. J'avoue que, pour gagner ma vie, j'en ferais volontiers davantage, parce que j'adore ça (tout comme travailler le son pour L'aiR Nu). Lire mes textes en public, ça ne m'est pas arrivé depuis un moment, devrait reprendre au printemps avec la sortie de Décor Daguerre, le plus possible j'espère. Lire les autres, c'est lire tout court, puis réfléchir, écouter, confronter, réessayer... Les 36 secondes de ce vendredi, je les ai pensées pour qu'elles nous donnent un peu d'élan, par exemple. 

Il y a également toutes ces voix (nous sommes quinze désormais) qui lisent en français ou en turc les livres d'Asli Erdogan : c'est ici. Et c'est si précieux de se sentir ensemble. 



















Mardi prochain, je lirai le texte de quelqu'un d'autre, en l'occurrence des extraits de Ce qu'il faut de Corinne Lovera Vitali. Cela n'aura rien à voir avec les 36 secondes. Je sais déjà que ce sera une expérience très forte, peut-être déstabilisante, comme quand je lisais Franck en public. C'est un travail au millimètre. J'essaye de m'y préparer.

Parfois la lecture englobe, enveloppe, propulse et rassure à la fois (c'est le Walt Whitman de mes 36 secondes). Parfois, elle est là, à vous secouer dans tous les sens. Attachons nos ceintures. Allons.

dimanche 20 novembre 2016

soutien à Aslı Erdoğan et à Necmiye Alpay



Femme de lettres, elle n'est évidemment pas la seule à avoir été arrêtée par le gouvernement turc après la tentative de putsch militaire, l'été dernier. En soutenant la romancière Aslı Erdoğan, répondant à l’appel lancé par Tieri Briet et Ricardo Montserrat Galindo sur Diacritik pour diffuser le plus largement possible ses textes, ce sont à tous les prisonniers politiques incarcérés en Turquie que L'aiR Nu pense, ces jours-ci. En voici d'ailleurs la liste.


Parmi eux, se trouve également la linguiste et traductrice Necmiye Alpay, 70 ans. Comme Aslı Erdoğan, elle a été membre du comité consultatif du journal pro-kurde Özgür Gündem interdit de publication depuis juillet, ce qui leur vaut d'être accusées aujourd'hui d’appartenance à une organisation terroriste armée. De santé fragile toutes deux, elles sont incarcérées dans la prison de Bakırköy à Istanbul depuis le mois d'août et risquent la prison à vie pour avoir défendu la minorité kurde. 

Voici la lettre qu'Aslı Erdoğan a adressé au monde en début de ce mois, traduite du turc par le site Kedistan :

« Chères amies, collègues, journalistes, et membres de la presse,

Je vous écris cette lettre depuis la prison de Bakırköy, au lendemain de l’opération policière à l’encontre du journal Cumhuriyet, un des journaux les plus anciens et voix des sociaux-démocrates. Actuellement plus de 10 auteurs de ce journal sont en garde-à-vue. Quatre personnes dont Can Dündar, (ex) rédacteur en chef, sont recherchées par la police. Même moi, je suis sous le choc. Ceci démontre clairement que la Turquie a décidé de ne respecter aucune de ses lois, ni le droit. En ce moment, plus de 130 journalistes sont en prison. C’est un record mondial. En deux mois, 170 journaux, magazines, radios et télés ont été fermés. Notre gouvernement actuel veut monopoliser la “vérité” et la “réalité”, et toute opinion un tant soit peu différente de celle du pouvoir est réprimée avec violence : la violence policière, des jours et des nuits de garde-à-vue (jusqu’à 30 jours)… Moi, j’ai été arrêtée seulement parce que j’étais une des conseillères d’Ozgür Gündem, “journal kurde”. Malgré le fait que les conseillères n’ont aucune responsabilité sur le journal, selon l’article n°11 de la Loi de la presse qui le notifie clairement, je n’ai pas été emmenée encore devant un tribunal qui écoutera mon histoire. Dans ce procès kafkaïen, Necmiye Alpay, scientifique linguiste de 70 ans, a été également arrêtée avec moi, et jugée pour terrorisme.
Cette lettre est un appel d’urgence ! La situation est très grave, terrifiante et extrêmement inquiétante. Je suis convaincue que le régime totalitaire en Turquie, s’étendra inévitablement, également sur toute l’Europe. L’Europe est actuellement focalisée sur la “crise de réfugiés” et semble ne pas se rendre compte des dangers de la disparition de la démocratie en Turquie. Actuellement, nous, auteurs, journalistes, Kurdes, Alévis, et bien sûr les femmes - payons le prix lourd de la “crise de démocratie”. L’Europe doit prendre ses responsabilités, en revenant vers les valeurs qu’elle avait définies, après des siècles de sang versé, et qui font que “l’Europe est l’Europe” : la démocratie, les droits humains, la liberté d’opinion et d’expression… Nous avons besoin de votre soutien et de solidarité. Nous vous remercions pour tout ce que vous avez fait pour nous, jusqu’à maintenant.
Cordialement. »


Que pouvons-nous faire ?
Signer l'une des pétitions qui circulent, bien sûr.
Envoyer du courrier à Aslı Erdoğan à cette adresse :
Aslı ERDOGAN,
Bakırköy Kadın Kapalı Cezaevi C 9 Koğuşu
34147 Bakırköy
İstanbul - TURQUIE
Continuer de nous informer. Et donc, lire et faire circuler ses textes le plus possible, afin que sa voix, leurs voix, ne s'éteignent pas. 

Vous pouvez ainsi lire un extrait par jour de l'oeuvre d'Aslı Erdoğan sur le site du magazine culturel Diacritik. Suivre la page Facebook qui recense les événements prévus (lectures en librairie, etc) Free Aslı Erdoğan. Retrouver deux recueils de ses textes sur Kedistan, pdf à télécharger ici et .

De notre côté, sur L'aiR Nu, nous avons mis en ligne dans notre rubrique 36 secondes un extrait du Mandarin miraculeux, court et très beau roman dans lequel une femme en exil déambule dans les rues de Genève, et un extrait du recueil de nouvelles Les Oiseaux de bois (cliquez sur l'image pour vous rendre sur la page).

http://lairnu.net/36-secondes/

(et pour entendre une nouvelle entière tirée de ce recueil, rendez-vous chez Pierre Ménard)

Mais nous souhaitons aller plus loin, en ouvrant une page dédiée à l'oeuvre de la romancière. L'idée est d'appeler qui le souhaite à nous envoyer une courte lecture sous forme de fichier MP3, ainsi, éventuellement, qu'une photo de l'exemplaire du livre. Tout est expliqué à la fin de notre seconde carte postale, ou sur ce qui va devenir la page dédiée
Aussi, n'hésitez pas ! Si vous ne disposez pas des livres, il suffit de vous rendre sur Diacritk pour choisir un passage ou de télécharger les recueils sur Kedistan. 

Ce dimanche midi, nous avons déjà reçu trois lectures, et la promesse d'en découvrir bientôt deux autres - sans compter les nôtres, bien sûr. La page se fera, c'est sûr. En attendant, grand merci à tous.

mardi 8 novembre 2016

je te raconte une histoire



Je te raconte une histoire ça n'a rien de très compliqué, je fais en sorte que tu te demandes s'il grimpera dans le train à temps, si elle va se faire licencier, s'il sera amputé d'un bras, si son frère  va la reconnaître, s'il réussira à lui plaire, pourquoi elle n'ouvre pas la porte, s'il perdra la compétition, si son patron va l'inviter, où est rangée la clef du coffre, si elle va arrêter de boire, pourquoi ses parents sont en fuite, quand la maladie va frapper, s'ils finiront la nuit ensemble, s'il va changer d'identité, si elle évitera l'accident, ce que va révéler la planque, et de qui est l'enfant qu'elle porte


et de quoi sont faites ses journées, et ce qu'il dit dans son sommeil, et comment s'est-elle enrichie, et s'il va remarquer son trouble, s'ils pourront franchir la frontière, quand il la mettra sur écoute, si elle va l'accuser de meurtre, si son père était un nazi

et ce qu'il en est des mots doux, des menaces, des humiliations
et ce que signifie le code
les regards les absences les gestes déplacés
cette façon de danser sans gêne devant tout le monde
et la phrase tracée dans la buée du miroir
le message effacé
le chant tu


et tu vas m'écouter, tu vas me payer cher pour apprendre la suite, tu vas me supplier et je ne te dirai rien, tu me feras des cadeaux, tu m'inviteras en ville, tu me donneras ton manteau et un bijou de prix, tu me paieras l'hôtel, le spa et la piscine, m'emmèneras à minuit voir le panorama, me présenteras le maire, le chef de la mafia, tu voudras tout savoir je ne répondrai pas, tu refuseras de croire que je n'en sais pas plus, que je n'ai pas en poche le plan du monde entier, le tracé de nos cartes, ton avenir et le mien
 


tu ne voudras pas croire que depuis le début je ne raconte rien
que ce qui nous relie tient dans nos deux silences.