La vie matérielle : je suis en train de passer d'un ordinateur à l'autre, de quitter le vieux netbook acheté en 2009 avec l'argent du festival de littérature de Deauville qui m'avait accueillie pour
Cowboy Junkies (soyons précis). Je copie donc mon dossier appelé
écriture pour le transférer sur le nouvel ordi, soit 5098 éléments, paraît-il.
Je sais que j'écris davantage que ce qu'on peut en voir, et cela fait plusieurs jours que j'ai envie de rédiger un article sur ce qui n'apparaît pas, en tout cas pas maintenant, existe quand même, oui mais sous quelle forme, etc. Avant de m'y mettre, je regarde le contenu du dossier écriture que je suis en train de copier. Outre les multiples versions de tous les manuscrits (Franck, Décor Lafayette, Décor Daguerre...), les parties Ateliers, Résidences, L'aiR Nu et un certain nombre d'inédits, je trouve :
- un vieux dossier reprenant le contenu de l'ordinateur précédent (début des années 2000) #miseenabîme
- de la documentation jamais lue sur "comment accueillir un écrivain en résidence" (j'ai déjà un avis sur la question)
- des photos de Richard Widmark
- un "Nouveau dossier" vide depuis le 29 janvier 2014
- tiens, un petit montage de textes pour Cécile Portier sur le thème de la
marche en ville, que je suis très contente de retrouver. Si contente que le voici :
Quitter le terrain
La neige ne tombe plus,
craque encore et nous jouons dans la lumière entre les phares et les
portières. Nos parents dans les caravanes, les bonbonnes de gaz dans
la soute, tout pose.
Notre
ville de lumière nous tient chaud
Notre
ville de lumière nous retient
Je
cours en mâchant des cheveux
un
peu plus loin dans l’ombre un enfant me suit
ou
même deux
Les
mômes, ne quittez pas le terrain
Les
mômes n’allez pas à la ville
Mais
nous allons quand même
La
bruyère, les plates-bandes, la route
Qui
nous rassurera ?
Vivre
là, extrait de Bruits, roman en cours
Courir
On
court, on court, la grande et la petite, quoique pas si petite, la
petite, grande pour son âge, même. On court, la mère et la fille,
et main dans la main je crois bien, pour aller regarder Les
Demoiselles.
J'ai
le souvenir de pavés, de trottoirs, d'une place qu'on traverse, le
soir tombe, on contourne et on se précipite, vole presque, bientôt
20h30 le film va commencer.
On
file, on file, deux silhouettes à manteaux, cheveux longs, l'une
blonde l'autre brune, si vite qu'on dirait dans un couloir des
hirondelles, sur un toboggan des sauterelles, deux super héroïnes
propulsées par le vent ou montées sur ressorts, celle d'une boite à
musique et poupée en tutu. Dans cette course en ville une joyeuse
mécanique, voir ce qui intrigue, l'inconnu (mais de quoi elle me
parle ? qui sont ces demoiselles ?).
Ah
oui, il y a de la joie dans ce démarrage en flèche : enfin on est
parties.
Mes
demoiselles, texte inédit (extrait)
Suivre
quelqu'un
Je te
suis. Si tu le sais ou non, je l'ignore. Si tu détectes mon pas je
ne pourrais le dire. Tu marches droit encore, allure au ralenti mais
on peut présumer que tu sais où tu vas, mains dans les poches,
nuques et dos raides. Ou plutôt non. Tu te penches déjà, à
l'arrêt, au feu rouge, demandes quelque chose, l'autre ne répond
pas. Tu t'agaces et oublies dans la nuit qui s'annonce. La rue par
ses contours commence à s'estomper, poste, gare, voies et rails
tandis que la station-service, néons offerts, prend position.
Piéton, tu t'y diriges.
(je me
cacherais presque mais dans quelques instants ce ne sera plus la
peine, tu ne verras plus rien. En tout cas je le crois, je ne suis
pas à ta place mais)
Tu
entres. La boutique vend de l'alcool jusqu'aux premières heures, y
fait sa pelote, argent et conséquences qu'un jour elle n'assumera
plus. Je sais ce que tu achètes. Je le saurais les yeux fermés. Te
voilà ressorti, déjà plus indistinct, bras et jambes morcelés que
la nuit dépareille – à quelques mètres à peine c'est toi, ce
n'est plus toi devant la gare de l'Est, dans la rue Saint-Martin. Tu
t'ébruites, t'émiettes. Autour le monde s'écarte et tu prends trop
de place, gesticules et tu cries, et tournes sur toi-même. Sauf à
te protéger pourquoi te suivre encore ?
(qui
peut imaginer maintenant où tu vas)
Te
suivre, texte paru dans la revue
d'ici là
Le premier de ces trois extraits,
Vivre là, est issu d'un roman,
Bruits, que non seulement je n'ai jamais terminé mais dont j'ai utilisé le titre pour écrire un second texte durant 365 jours l'an dernier, qui n'est pas un roman et dont je n'ai encore rien fait. Je m'aperçois à l'instant que ce premier
Bruits (le roman), ah merde, mais j'y tiens beaucoup, en fait, il faudrait vraiment que je m'y remette ! Selon mon vieux dossier
écriture (celui de l'ordinateur qui précède le précédent), la dernière fois que j'ai touché au texte, c'était en 2004. Et, hum,
Vivre là est en ligne sur remue.net... à l'époque où il s'agissait encore du site de François Bon ! Pour une conférence que je dois animer mercredi à Evry, je suis depuis quelques jours en pleine exploration du web des années 90-2000. Eh bien voilà. Nous y sommes.
Le second extrait, vous l'avez peut-être déjà croisé : il appartient à la série
Mes demoiselles, que j'avais postée ici même et qui, en réalité, est un des feuilletons qui constituent
Décor Daguerre (Demy Varda etc).
Le troisième est un texte paru dans la revue dirigée par Pierre Ménard,
d'ici là, originellement écrit pendant un des ateliers qu'il a menés à l'espace Château Landon en 2010. Ceux qui ont lu
Franck auront peut-être reconnu une parenté avec mon livre (c'est le cas). La revue
d'ici là, autrefois payante, est désormais
en accès gratuit. Autant dire qu'en fait, ces trois textes retrouvés étaient à la fois et depuis longtemps sur le disque dur de mon / mes ordinateur(s) et quelque part en ligne. Mais où ? Et comment les atteindre, en général ? Et pourquoi les exhumer, soudain ? Et les autres, alors, tous les inédits qui restent éternellement dans le dossier
écriture, qu'en faire, si je les aime encore ?
L'écriture invisible, c'est en partie cela, je crois : ce qu'on a oublié. Ce à quoi on s'est voué corps et âme à une époque (mais vraiment) et que, malgré tout, on n'a pas terminé. Qu'on a délaissé pour passer à une autre forme, qui elle a trouvé une fin. Qu'on ne peut plus relire à cause d'un seul refus (c'est le cas de mes poèmes pour la route, dont trois sont parus en anthologie, pourtant). Qu'on n'a jamais eu le courage d'envoyer en lecture, parce que sûr-e à l'avance de ne pas trouver la bonne case. Qu'on ne met pas en ligne pour autant - et là, je me demande pourquoi.
Je me dis que mon désir d'être lue, s'il existe bien, est toujours second, il n'y a rien à faire. Le désir premier, c'est d'écrire. Etre lue n'est pas, chez moi, le moteur principal et c'est sans doute un handicap. Un manque, une faiblesse. Etre lue est pourtant essentiel si je veux continuer à écrire, et je suis très loin d'être indifférente au fait de ne pas l'être, ou pas assez (il n'y a qu'à voir l'effet que me fait le manque de réaction face aux parutions d'Ile ronde ou d'Anamarseilles. Je n'en parle pas ici mais c'est évidemment très difficile). Pourquoi je ne mets pas en ligne tous ces inédits si j'y tiens toujours, par exemple, sans parler des les faire parvenir à un éditeur ?
Réponse : parce qu'entre temps je suis passée à autre chose. Je me dis que j'aurais toujours le loisir, un jour, de revenir en arrière et ce n'est jamais le cas. Il y a toujours un, deux, trois, quatre nouveaux projets droit devant. Mais du coup, rien ne fructifie. J'écris tout le temps et c'est presque tout ce qui se passe. C'est trop d'efforts pour le résultat obtenu, ça ne va pas.
Certes, me dira-t-on, mais c'est normal, puisque tu ne prends pas en compte (ou pas assez, en tout cas) le fait d'être lue au moment même où tu écris. C'est assez vrai. Je ne le prends parfois pas en compte du tout. Parfois un peu quand même. Mais jamais énormément, c'est certain. Ce qui m'intéresse, au moment où j'écris, c'est d'aller chercher du neuf, pas encore de savoir comment je vais le communiquer.
(tout cela est dit grossièrement, c'est évidemment plus complexe, mais j'ai besoin d'avancer)
L'écriture invisible, c'est aussi autre chose : l'écriture en carnet, sous format papier de ce qui pourrait s'écrire sur ce blog. J'ai bien conscience, depuis un moment, de ne plus écrire dans cette interface. De proposer simplement des informations sur ce que, par ailleurs, vous ne pouvez pas lire : par exemple, sur Diptyque, une pièce chorégraphique que non seulement vous n'avez pas vue, mais qui ne fait entendre qu'une petite partie de ce que j'ai écrit. Or, quand la chorégraphe Caroline Grosjean m'invite à noter mes réflexions à partir de notre expérience commune, qu'est-ce que je fais ? Je commence par utiliser un carnet, et non me servir de mon blog. Mais pourquoi, enfin ? Je ne sais pas. Sans doute la beauté du carnet et le fait qu'il s'agisse d'un cadeau me poussent-ils à agir ainsi : ce sont des propulseurs. Mais tout de même.
J'ai écrit
De la ville au Loing (le texte pour la résidence de L'aiR Nu) sur un carnet bleu, que j'ai ensuite recopié et retravaillé au clavier avant de lire à voix haute et d'enregistrer le texte tapé pour l'envoyer aux autres membres du collectif sans le leur donner à lire.
J'écris sur un cahier rouge un journal de mon nouveau livre lié à la figure de Marilyn Monroe alors que je n'ai plus avancé sur le texte depuis un moment.
J'ai entamé le texte consacré à Diptyque sur le beau carnet.
Et être lue, alors ? Où et quand et comment ? Ce n'est pas que le sort de mes textes ne m'intéresse pas, au contraire. C'est bien pour donner une chance au livre que j'ai enregistré l'intégralité d'Anamarseilles. Que faire de plus, de mieux ?
Je réfléchis.
Et me demande :est-ce que tout cela parlerait à quelqu'un ?
*
(ce propos est sans doute à suivre)
(quant aux, photos, elles sont tirées du dossier gigogne
écriture, où je ne mets normalement pas d'images. Je crois que celle de
Fenêtres à la vitre est d'Emmanuel Delabranche et que la première vient d'une exposition sur les ouvriers en grève de l'usine Chaffoteaux, dans la région de Saint-Brieuc. Les gravures sont des illustrations du
Petit Poucet et de
La Belle au bois dormant)