Il y aura donc eu, dans la ville du Blanc, une chambre d'hôtel pour m'accueillir du dimanche au vendredi, une chambre sur rue dont la fenêtre donnait sur la boutique d'un opticien et la porte sur le couloir menant de la réception à la salle du petit déjeuner.
Bruits de circulation jusqu'à 21 heures, peut-être, reprenant tôt.
Rares pas au-dessus de la tête.
Longues discussions, parfois, du patron dans le couloir.
Un seule apparition du chien de la patronne, qui ne vit que par et pour elle.
Une chambre deux étoiles avec lit à couette blanche, énigmatique chauffage, énigmatique lampe au-dessus du lit commandée tout spécialement au fabricant pour ne pas, chaque fois qu'on l'allume, abîmer le papier peint par frottement d'un cordon. Conçue, donc, pour cacher son interrupteur de façon si habile que les clients la croient cassée, ce qui oblige au patron à renouveler sans cesse ses explications (il explique aussi le chauffage. Je crois que ça lui plaît).
Une chambre avec wifi obtenu grâce à l'obtention de deux tickets simultanés à la réception (Un par appareil. "Vous avez combien d'appareils ? Euh, trois, mais deux ça ira très bien") pour une durée de cinq jours. Le sixième jour, ça fonctionnait encore, j'ai pu terminer sur Facebook la petite extension au Journal du Blanc appelée #viedelhôtel que je copie ici, agrémentée de commentaires en italiques :
Lundi. L'enseigne rouge en forme de lunettes de l'opticien clignote (vue de la
fenêtre). Ça s'agite dans le couloir (entendu par la porte). Après six
heures d'atelier au lycée du Blanc sur le fait divers, je voulais écrire
la vie d'une semaine à l'hôtel, développer un peu sur mon blog mais
pff, la voilà ici en trois lignes...
(demain, peut-être ?)
(voeu pieu)
22h. Parfois plus aucune voiture ne passe. Nous devons être deux
clients. Que faire de ces moments de pur silence ? J'essaye de
comprendre le fonctionnement du chauffage (mode jour, mode nuit, reste
froid : parce qu'il ne fait pas froid ?)
Mardi. 21h. Le patron fait la conversation dans le couloir. Le temps de
l'écrire on entend des pas qui s'éloignent. Le chauffage fonctionne (le
patron a montré comment s'en servir après avoir vu traîner une
couverture sur le lit). Discret pique-nique dans la chambre. Y a-t-il un
autre client dans l'hôtel ? Un bruit d'eau incite à penser que oui,
finalement. Dehors, Le Blanc la nuit : raréfaction de la circulation.
(seconde journée d'ateliers, donc : après avoir fait intervenir hier des
personnages secondaires, censés éclairer le passé d'un père qui a enlevé
son enfant et l'a séquestré pendant trois ans, d'une mère qui n'a
mystérieusement pas porté plainte avant plusieurs mois, avec les élèves
nous sommes entrés dans l'appartement où l'enfant a été retrouvé)
Mercredi. 8h. Unique cliente au petit-déjeuner. Hier, soir il est tombé des cordes
: conversation avec le patron, qui part ce matin et s'inquiète du
moment où faire la chambre. Bah, ne pas la faire, telle est ma réponse.
Mercredi : c'est jour off pour tout le monde.
17h. Du bar du théâtre qui jouxte l'hôtel du même nom (pas de théâtre,
une télé qui diffuse des courses de chevaux, une photo géante du
Café des amateurs, à Barbès, au mur) (téléphone : Nord 23-92) j'écris à Maria, ma lectrice slovaque.
(
entre temps j'ai fait un tour dans la ville haute. Cf mon article précédent)
18h. Sortant de la maison de la presse (achat de timbres pour la
Slovaquie), laquelle m'apprend comme toujours les potins qui comptent
(Renaud rajeunit grâce à la chirurgie esthétique), je découvre au bout
de la rue un camion de pompiers qui clignote. Le bout de la rue, c'est
celui de mon
carré-rectangle : logis du gardien / cinéma / palais de
justice / Institut de beauté qui fait aussi hôtellerie. J'avise le
gendarme qui barre la route : fuite de gaz à Secrets de Brenne !
(J'aurais dû dormir là, au départ). Le gendarme n'est pas affolé du
tout. Je repars poster ma carte pour Maria.
(
diable, n'a-t-on pas frôlé le fait divers : si j'avais préféré Secrets de Brenne à l'hôtel, ne serais-je pas morte asphyxiée ?)
20h. Drame : le restaurant thaï est fermé. Pique-nique en chambre, suite (car le restaurant thaï est le seul restaurant)
(
on le voit : le drame, comme la vérité, est ailleurs)
Jeudi. 8h. Avant-dernier petit-déjeuner à l'hôtel. Dans la salle, au petit
comptoir derrière lequel se trouvent les théières et tout le reste, deux
femmes (des amies, pas des clientes) discutent avec la serveuse,
parfois tout bas. Pour que je n'écoute pas ? On voit ici que je n'ai
rien suivi, rien noté, rien retenu.
(
juré)
16h28. Dans l'hôtel déserté (souvenez-vous, le patron est parti), munie
de ma tasse personnelle et d'un sachet de thé, je pars en quête d'eau
chaude. Objectif suivant : récupérer un nouveau code wifi, le mien
arrivant bientôt à expiration - le patron, dimanche soir, a appuyé sur
une sorte de machine enregistreuse qui a craché un ticket, lequel n'est
valable que cinq jours (Rappel : il y a deux jours, j'ai détraqué le
chauffage).
16h38.
Humiliée par la bouilloire découverte derrière le comptoir de la salle
du petit déjeuner, laquelle refuse de bouillir quoi que ce soit.
16h44. Un grincement à l'étage du dessous. Je ne suis donc pas le seul être vivant de cet immeuble.
17h19.
Tout s'arrange. Des voix dans le couloir. La bouilloire est
effectivement en panne, je n'ai rien cassé. Code wifi ok. Ce journal de
la vie de l'hôtel pourra donc se conclure comme prévu demain matin.
23h10. Télé : Gillian Anderson dans The Fall. Dernière nuit à l'hôtel.
Demain, l'atelier débute une heure plus tard que d'habitude.
Aujourd'hui, on a commencé à toucher au coeur du fait divers - et je me
demande : est-ce bien raisonnable de regarder The Fall à cette heure ?
(un serial killer jeune papa, etc.)
(rentrée à Paris, je réalise que cet épisode, devant lequel je me suis endormie, est le premier de la deuxième saison de la série, que j'attendais de voir depuis des mois)
Vendredi. 8h33. Bye bye l'hôtel. Pour avoir la suite du feuilleton, il faut
m'inviter, maintenant ! (Lectures, conférences, projections, ateliers,
que sais-je... raconter des histoires horrifiques aux lycéens, faire des
photos de la ville, tout ça... N'hésitez pas)
(
et en effet, n'hésitez pas :
je cherche vraiment à renouveler l'expérience. Découvrir des lieux nouveaux, se sentir bien accueillie et comprise, c'est déjà très beau. Ici, au Blanc, c'est de compagnonnage qu'il s'agit maintenant, puisque je reviens régulièrement. J'ai eu la grande joie de retrouver des élèves que j'avais déjà eus en atelier, de travailler avec les mêmes enseignants. Arriver, poser ses valises, parler de son travail ou de celui des autres, lire, faire écrire, c'est bien. Mais revenir, tisser des liens, partager des souvenirs... Une confiance réciproque naît, je crois, qui nous porte, nous fait avancer. Grand merci à tous, donc, et j'espère à bientôt)