Tandis que paraît
Décor Daguerre, croisement de l'année 1975 et de l'année 2013, je fais du rangement dans mes archives et tombe sur ces notes prises à Besançon durant le festival
Les Petites fugues à la fin de cette année 2013. Peut-être ai-je pensé à un moment les utiliser pour clore le livre, je ne sais plus. Ce qu'elles me disent aujourd'hui, c'est ce que j'ignorais alors : la présence de Caroline Grosjean dans la salle lors de ma
présentation de
Décor Lafayette, sa découverte de mon livre sur les Cowboy Junkies, puis notre travail commun l'année suivante au sein de la compagnie
Pièces détachées.
Trois
ans et demi plus tard, alors que je retrouve ce texte, me rappelant le travail avec les danseurs, nos incursions à Belfort, Saint-Claude,
Fougerolles..., voici ce qui apparaît devant moi :
- la programmation de Diptyque au Théâtre
Ledoux de Besançon le 4 mai, ville où je vais donc retourner
- la parution le 15 novembre prochain du texte de Diptyque aux éditions Publie.net sous un nouveau titre que je cherche encore
- l'invitation à participer aux deux nouveaux projets de Pièces Détachées, Exit 87 et Honeycomb.
Que se passe-t-il quand on rentre de tournée, demande le texte. Tout ce qui, invisible alors, très longtemps après finit par se dérouler. Ce n'est pas question de patience. En tout cas, elle ne suffit pas. C'est le présent du café, de la chambre d'hôtel qui comptent.
En
tournée
Besançon,
Iguane café, novembre 2013
Ne
voir presque rien. Regarder les visages, distinguer des accents,
tandis que les corps engoncés dans les pulls, polaires, manteaux,
accélèrent, s'engouffrent, disparaissent en ouvrant des portes.
Passer
devant le Musée du Temps, dont les arcades, la cour attirent –
mais quoi, pas le temps ? Quels choix fait-on ?
Songer
à ceux qui ont vécu ici, y viennent, tournent, s'en vont. Ces deux-là,
au café, à la table d'à côté, parlent logement, Paris,
Strasbourg. Ils sont peut-être comédiens, musiciens. Ce serait
facile de les croiser ici ou là, à l'est, à l'ouest, au centre.
Une
petite heure à écrire sans savoir quoi, se souvenir des montagnes
de la veille, dans la nuit, des tournants, des cuisines éclairées,
des décorations de Noël.
Apprendre au bout d'un moment que les
musiciens travaillent pour la Croix rouge, en réalité : existences inventées des
voisins de comptoirs, de bars, multiplicité des possibles qui
continue d'émerveiller. Pourquoi l'écrire, ne pas l'écrire ?
Revenir
au café le lendemain, la musique a changé. Continuer d'écrire dans une chambre d'hôtel sur cour et sous les toits, au
bout d'un long couloir en regrettant de ne pas voir la ville, de ne
rien regarder. Par la fenêtre une verrière, des façades
imbriquées, du ciel, de la montagne. Les oiseaux cessent de chanter
quand ils sentent le déclic de l'appareil qui cherche à capter, à
figer. On entend à peine leur vol.
Que se
passe-t-il ensuite, quand on rentre ? Quand on a parlé de son
travail sans discontinuer (de ce qu'on a créé, monté de toutes
pièces parfois des années plus tôt), quand on a été accueilli
dans plusieurs villes, fait tant de rencontres, que se passe-t-il à
descendre du train, prendre le métro et ouvrir la porte de chez soi
? A-t-on envie de se jeter sur le lit, ou sur le train suivant, par
difficulté à se délester de la tension nerveuse ? Ici, dans la
chambre de l'hôtel au bout du couloir, tout est calme : est-ce un calme
identique à celui d'une vie perçue comme ralentie une fois la clé
dans la serrure ? (ralentissement, linéarité illusoires). Ici, dans
le salon, c'est encore mieux que dans la chambre : une
haute et large fenêtre arrondie coupe la tête des passants jetés
dans un froid rapide – un couple à double bonnet gris, une brune
qui regarde ici, boucles au vent. Café, silence, un peu de temps,
luxe absolu.