dimanche 25 février 2018

Semaine #8 ranger, déranger, nouer, dénouer













Dimanche La grande salle est comble, à la Cinémathèque de Paris, pour la diffusion de Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles, de Chantal Akerman, film que je n'avais jamais vu et dont je ne connaissais pas la fin. Expérience hypnotique, fascinante, voilà nos regards transformés par 3h20 de projection durant lesquelles chaque élément, qu'il soit dans le cadre ou non, devient l'objet d'une attention extrême. A quoi ressemble l'intérieur des placards perpétuellement ouverts, perpétuellement fermés, de la cuisine ? Que voit-on de la ville à la fenêtre du salon ? A quoi correspondent les éclairages qui, de nuit, balaient l'appartement ? Que font Jeanne et son fils lorsqu'ils sortent le soir ? 
Outre le travail sur l'image, le cadre radicalement fixe, les objets personnages (la soupière, que l'on voit ou non, en entier ou non, mais qui nous obsède par exemple), la minutie avec laquelle sont traités les sons, les bruits me fascine.
Quand on rentre chez soi, débarrasser la table, ranger les couverts dans un tiroir deviennent à leur tour une expérience. On se sent Jeanne Dielman.










Lundi Retravailler l'enregistrement effectué lors de l'atelier d'écriture à Chartres puis l'envoyer aux participants, écouter l'enregistrement pris dans le train du retour (comment peut-on l'utiliser ?), trier, ranger le dossier de résidence. Voilà, c'est fait. Puis j'essaye de sortir Marilyn de sa piscine. Seulement, j'ai promis de retourner dans les beaux quartiers cet après-midi. Et finalement le dossier Chartres n'est pas si bien rangé. Bon.
L'après-midi, mon camarade des beaux quartiers et moi-même convenons que pour l'instant, j'ai beaucoup de travail et que lui n'a plus besoin de moi (quelqu'un d'autre se charge, parfaitement, de ce qu'il y a à faire). C'est une rencontre douce, peut-être la dernière, peut-être non. Les choses sont en ordre : je ne l'abandonne pas, il ne me chasse pas. Tout va bien.



















"Atelier de fabrication de ficelles, de câbles et de cordes"... Je reste une heure, puis passe au bureau de L'aiR Nu et trouve dans la boite aux lettres le dernier livre de Christophe Grossi, Corderie, qui vient de paraître aux éditions de l'Atelier contemporain. L'aiR Nu avait consacré une page à Ricordi, le précédent ouvrage de Christophe : merci à lui, comme à l'éditeur, d'avoir pensé à nous.
(voulez-vous notre adresse ? Nous sommes au 72 rue de l'Assomption, Paris 16e, mais oui)
Ménage dans mon enregistreur.
Jeanne Dielman me reste en tête.



















Mardi, mercredi Ranger déranger arranger s'arranger, quand le programme change faut-il toujours s'adapter ? Comment préparer ce qui vient ? Faut-il se préparer, toujours, à ce qui arrive, risque de ne pas arriver ?
Je prépare une balade sonore dans l'avenue Mozart, à Paris, qui ne donnera peut-être rien (mais j'ai promis). Je prépare la performance de jeudi avec Magali Albespy à la librairie L'Esperluète en choisissant des extraits de Volte-face, le livre sur Marilyn (je me prépare aussi à lire ce que personne n'a jamais lu ni entendu). Je prépare l'atelier des Buttes-Chaumont de samedi en apprenant qu'il va faire grand froid, que tout cela sera peut-être vain. Je prépare les 36 secondes en avance pendant les repérages. J'enverrai samedi un passage de Volte-face à la revue Terres d'encre de l'Université de Clermont-Ferrand (j'ai promis, autre chose mais c'est ce qui est venu).
Et ma vie à venir, je m'y prépare aussi ? Oui, non, comment ?















jeudi J'emporte dans mon sac des accessoires pour Magali : un petit sac à main années 50 dans lequel je retrouve mon billet d'avion pour Mexico, un boa noir, un chapeau noir. Magali, de son côté, a pris de quoi faire du son, permettre des rencontres. Nous travaillons d'arrache-pied l'après-midi dans une salle isolée. A peine une demi-heure de pause et voilà qu'a lieu, dans la galerie photo, notre performance. Fauteuil, tabouret, station debout. Lire, se taire, écouter, regarder Magali sortir une fausse bouche rouge, enfiler lentement une paire de chaussures à talons, se parer pour finir d'une guirlande électrique dans la semi-pénombre. Nous passons d'une usine d'armement au studio photo de Milton Greene, de 1944 à 1956, le temps d'une lecture. La première partie de la performance est écrite, la seconde plus improvisée. Je dois lancer une insulte (ce qui n'est pas allé sans questionnement de ma part), le fais au bon moment me dira ensuite Magali, à l'instant précis où elle peut l'entendre.















C'est une de mes récompenses, tout comme le remerciement pour la créativité et l'énergie reçu à la fin de la part d'une spectatrice. Nous avons travaillé vite et intensément, peut-être parce que nous nous connaissons, peut-être aussi parce que nous "pratiquons" (verbe que Magali aime bien) depuis longtemps. On ne se rend pas toujours compte, je crois, de ce qu'on fait fructifier chaque jour dans nos petits laboratoires.
(jeudi ou dimanche de la semaine prochaine, je retournerai pratiquer avec elle, joie)















vendredi Le matin, nous voilà à la radio avec Olivier L'Hostis. C'est vraiment un plaisir, ces émissions me manqueront quand la résidence sera finie (le premier épisode est ici). Quand nous reprenons le train, avec Magali, nous sommes à a fois contentes et épuisées. Le paysage défile en panoramique. On le regarde sans le regarder.



















samedi En attendant d'animer les trois heures d'atelier aux Buttes Chaumont et à la bibliothèque Villon, j'envoie les extraits de VF à la revue Terres d'encre, qui les accepte. La semaine prochaine, rien ne me lie à l'extérieur, pour une fois. J'ai prévu de terminer mon livre, de ne pas répondre aux mails, de ne plus exister pour personne. Enfermée à mon tour dans la boîte noire du photographe.


















Finalement, l'atelier, qui commence par une balade avec lectures dans le parc, se poursuit par une séance d'écriture dans la bibliothèque fermée au public, se passe tout en douceur.
(photo de @zenodote pour la bibliothèque Villon. Pierre Ménard, grâce à qui cet atelier a pu exister, évoque ces trois heures ensemble dans Liminaire ce dimanche)

Dimanche matin Ciclic a mis en ligne  des éléments sur le projet Bruits. Il est temps de conclure, et de commencer.

dimanche 18 février 2018

Semaine #7 fermé, ouvert














(photo de Lawrence Schiller, 1962)

Lundi Hier, terminé Claustria qui, s'il m'avait d'abord attirée (eh oui, c'est le terme) pour ce qu'il racontait de l'enfermement, s'est révélé à mes yeux un grand roman sur le bruit. Ce matin, lecture de l'article que Christine Marcandier consacre au livre de Régis Jauffret dans Diacritik : elle parle de tout (l'entrelacs complexe fait divers / roman, le procès spectacle, la négation de l'horreur par un pays entier, l'impossible écriture du temps vécu dans la cave dont l'auteur veut pourtant devenir conteur, lieu dont il faut épuiser chaque perception pour y parvenir, me dis-je de mon côté) sauf de cette attention aux sons. Voilà qui m'arrange, d'une certaine façon, le terrain restant à défricher...
Bruits me travaille, mais il faut terminer le Marilyn : semaine sept de cette évidence.



Seulement (et cela va m'empêcher d'aller nager : en guise de piscine, aujourd'hui, je regarderai une partie des rushes ci-dessus, c'est tout), de mauvaises nouvelles s'invitent, s'ajoutent à celle de la semaine dernière qui m'a empêchée de dormir : deux projets sûrs de se faire ne se feront pas, faute d'argent comme d'habitude. J'avais anticipé, aussi ne suis-je pas abattue, mais c'est fatigant et mes partenaires sont dégoûtés. On vous sollicite, on vient vous chercher et pfuuit, rien ne se passe.
Heureusement, j'ai Magali Albespy au téléphone, qui viendra danser à Chartres dans quinze jours. Elle accepte d'improviser dans la librairie à partir d'un texte que je lirai et qui lui sera inconnu : je pense à des extraits du Marilyn et cela me remonte le moral. On fera du son, aussi. Ce sera bien !
(Il faudrait que j'écoute mes derniers enregistrements, tiens)

Le soir va tomber : c'est enfin le moment de se rendre aux Buttes Chaumont penser à l'atelier. Le parc vient à peine de rouvrir, il y a encore des blocs de neige et des interdictions partout. Je le note.
Pendant ce temps, Pierre Ménard parle de Fenêtres open space dans un atelier de Sciences Po : mon livre côtoie ceux de François Bon et Jane Sautière, voilà qui fait plaisir.











(montage de Pierre Ménard)

Mardi Je suis sagement, le matin, un cours sur la comptabilité des associations (L'aiR Nu en est une). Je pensais m'ennuyer atrocement mais non : ce qui importe, c'est d'avoir le plus possible la main sur ce qui se passe, de pouvoir prévoir, ajuster, prévoir à nouveau. En comptabilité, l'activité (ce qu'on veut faire et donc dépenser, gagner pour le réaliser) et la trésorerie (ce qu'on a en banque, l'argent qu'on nous doit, les dettes éventuelles) sont deux choses distinctes, j'aurai au moins retenu ça.
Pour cela (avoir la maîtrise, du moins en partie), il faut chiffrer ce qu'on projette, pas de secret. Ne pas croire que ça m'est naturel : c'est d'un travail sur soi qu'il s'agit. Mais depuis que je suis en accompagnement au 100, je ne vois plus exactement les choses de la même façon. Ainsi, la mauvaise nouvelle d'hier, qui aurait dû me laisser par terre (non seulement une somme non négligeable s'envole, mais également la perspective d'aller écrire en mer, de travailler avec des amis), est contrebalancée par la réussite du dossier pour Chartres, monté à la même période. Ne jamais, au grand jamais, mettre ses oeufs dans le même panier, comme on dit.

Je me rends compte qu'écrire le semainier permet de suivre ce qui, d'habitude, demeure invisible : on voit, au fil des jours, ce qui fonctionne, ne fonctionne pas. Je viens d'avoir trois mauvaises nouvelles en deux jours, soit, en moyenne si on prend le début de l'année, une tous les quinze jours. On verra si ça se confirme, mais le calcul montre à quel point il faut sans cesse encaisser, remonter la pente, repartir sans se laisser perturber. Je croyais, en entamant ce feuilleton hebdomadaire, évoquer surtout ce qui donne de l'énergie puisque j'ai le bonheur d'une résidence qui, a priori, va bien se passer, d'ateliers d'écriture réguliers et de deux manuscrits qui avancent. Mais non : on aura droit à tout l'ensemble.

Mardi, c'est aussi le jour où l'une de mes soeurs, qui travaille à la cour nationale du droit d'asile, se met en grève. Un article du Monde en accès libre est consacré à la lutte des rapporteurs.














Mercredi matin : écrire, nager ? Non, s'acharner une heure trente pour comprendre pourquoi le Bluetooth refuse d'apparaître sur l'ordinateur, abandonner après avoir fait le tour de la question. Tout oublier pour aller donner un atelier supplémentaire à la Vallée aux Loups l'après-midi, où nous sommes moins nombreux, où parmi nous voici qu'apparaît un participant de quinze ans, ce qui intimide un peu (en tout cas moi). Des textes forts, inattendus. Un sentier forestier découvert en montée. Dans le RER, je lis un texte de Jean-Luc Parant prêté par Olivier Lhostis, le libraire de Chartres, qui me frappe : ce sera l'un des deux que l'on entendra vendredi dans la rubrique 36 secondes (l'autre livre ayant été offert par Arnaud de la Cotte quand j'étais en résidence à Grand-Lieu : merci à tous ceux qui nous font découvrir des lieux, des gens, des textes...).













Jeudi et vendredi, Chartres. Jeudi, pluie continue, vendredi, grand beau.
Le jeudi soir, c'est l'inauguration, qui se déroule dans la salle où sont exposées les photos de Bernard Plossu. Explications sur mon travail, sur Bruits et la résidence à venir, lecture d'un passage de Décor Daguerre puis de la première partie de A même la peau avec les sons de Jean-Marc Montera lancés par Olivier L'Hostis. Pas tant de monde à avoir bravé la pluie, mais ceux qui sont venus me semblent très attentifs. Plusieurs ferment les yeux pour écouter le texte.













Comme souvent, ensuite, mauvaise nuit - mais le matin, à 8h04, j'entends de mon lit les cloches de la cathédrale.
Chercher la douceur, avions-nous dit. J'ai l'idée en tête sans arrêt. La dureté résonne d'autant.
 






























Marcher dans les rues pavées le matin, valise en main quand ça cahote, boutiques fermées. Le boucher s'appelle Pinson, le magasin de lingerie me vaut les commentaires d'une dame qui trouve les dessous jolis, mais plus pour elle (entendez : pour plaire à un homme), ce qu'elle énonce d'une voix forte. Ses paroles résonnent sur la place. Elle a envie de parler, finit par énoncer que bon, la vie est courte, qu'on peut se faire plaisir, à soi, quand même !

Tout en continuant à longer nombre de magasins dédiés à la douceur (lingerie, linge de maison,  décoration, boutique de thés...), je me demande si je croiserai à nouveau cette dame qui parle à tout le monde.













(horloge restée à l'heure d'été)

Grâce à Olivier, je rencontre ensuite deux spécialistes de Chartres à qui l'idée d'écouter la ville semble plaire (nous devrions nous revoir, durant ces six mois, j'en reparlerai), un poète, musicien et éditeur dont je compte bien aller lire les textes, des participants à l'atelier à qui je fais écouter l'enregistrement de ceux de la Vallée aux Loups et que j'enregistre à leur tour.
Vendredi soir, retour par le train avec des lycéens en internat la semaine (c'est du moins ce que je suppose). Pas de tablette pour écrire dans le train, on se demande soudain pour quoi les concepteurs, les commanditaires de ces wagons nous prennent.

samedi Je lis Le Bruiteur, une pièce de théâtre de Christine Montalbetti dont je partage la fascination pour ce métier. Ma mère (bonjour maman) me parle de Louis Matabon, bruiteur à Radio France quand j'étais enfant (Décor Daguerre, bonjour). C'est ainsi que je découvre cette page, où l'on apprend que pour imiter le bruit d'un troupeau de moutons, il faut des coquilles d’escargot vides et du chatterton, par exemple (bruiteur, magicien.... mmm... réflexion en cours).

dimanche Les rapporteurs de cour nationale du droit d'asile sont toujours en grève et pour le moment rien ne bouge. On peut les soutenir dans leur action grâce à la cagnotte qu'ils ont mis en place.Voici également leur compte Twitter.

dimanche 11 février 2018

Semaine #6 paroles, messages, silence














Dimanche Un mois à travailler six jours sur sept, le septième jour c'est hypnotique : je ne peux rien faire. Rien du tout. Rien, mais rien de productif, surtout. Aller aux Buttes-Chaumont ? Ce serait préparer l'atelier que j'y mènerai à la fin du mois. Non, non, rien. Juste mettre en forme l'enregistrement de celui de samedi à la Vallée aux Loups, et envoyer le fichier à qui me le demande. Chercher des photos liées aux gares, au temps (ci-dessus, l'horloge de la gare de l'Est). Continuer la lecture de Claustria. Tenter de réduire la taille de ma messagerie qui arrive à saturation, sans y parvenir. Et c'est tout.



















 (Villon, Paris Xe : pour la première fois me voilà écrivain dans ma bibliothèque)

Lundi Nager sous la neige, ou presque. J'avais l'idée d'un roman qui se serait appelé Ciel de verre, que je n'ai pas écrit faute de moyens. Il se serait passé entièrement dans le bassin sportif d'une piscine. Peut-être sera-t-il inséré dans Bruits, qui l'engloutira ? En attendant, le ciel au dessus de la ligne d'eau est parfaitement compact.
Café avec un ami auteur qui lui aussi a une idée de livre dédié au son, au bruit, mais très différente de la mienne : on en reparlera.
Achat du Marilyn and me de Lawrence Schiller en numérique. Je commence à lire (et donc à traduire, pour moi) le texte mais la paperasse administrative ressurgit. C'est évidemment agaçant, mais il faut se libérer l'esprit pour réussir à retrouver le photographe en 1960 qui débarque sur le plateau du Milliardaire à 23 ans sans faire son fier devant Marilyn en collants. 
La neige empêche les repérages aux Buttes pour l'atelier. Demain ?
Inscrite au Bal du silence de jeudi, mené par Mathieu Simonet à Beaubourg. Hâte de tenter l'expérience. Je ne regarde pas la vidéo exprès, pour ne pas avoir d'idée préconçue sur ce qui va se produire.














mardi Ce Marilyn and me se révèle plus intéressant que prévu. Avancer le plus possible dans la semaine (mantra). Ecrire écrire écrire écrire si je tape le verbe cent fois est-ce que j'aurai avancé d'un pouce ? Peut-être. Cette neige tombe à pic, en tout cas. Il faudrait être complètement dans le blanc, calfeutré, loin de ce qui se passe en public ces jours-ci.














Demain, consacrer la journée aux livres des photographes, sur les photographes. Pierre Ménard, ce jour, lance une série d'ateliers dédiés à l'écriture et la photographie : s'en saisir ?
Hâte que reparaisse son Comment écrire au quotidien, et de l'avoir en version papier.
Je me souviens soudain que la toute première fois que j'ai trouvé mention d'un de mes livres, c'était sur son site : Fenêtres pris comme exemple pour un atelier, bien avant que nous nous connaissions.


















mercredi et jeudi. Photographes, disions-nous. Lawrence Schiller à lire, à traduire et Garry Winogrand pour les 36 secondes du vendredi. Se perdre dans l'image, réinventer le New York de 1950, 1960, 1970 grâce à ce catalogue trouvé à la bibliothèque qu'il faudra rapporter un jour. Et sinon ? La neige, bien sûr, qui dans mon quartier à Jaurès couvre les tentes des réfugiés, les met en danger tandis que dans les médias les politiques délirent sur les chiffes et les choix de ceux qui vivent à la rue, majeurs, mineurs. Dégoût de ces discours qu'ils "assument", dégoût du verbe assumer comme une fin de non recevoir.

Mona Chollet fait passer ce message type, à relayer auprès de anne.hidalgo@paris.fr, dominique.versini@paris.fr, branka.giljaca@paris.fr :
Bonjour,
Je me permets de vous contacter pour vous signaler qu'aujourd'hui encore des centaines de personnes exilées ont passé la nuit dans la rue, dans des tentes ou à même le sol, à Jaurès, Porte de la Chapelle, au canal Saint Denis etc..
Les températures sont glaciales, il neige et ces personnes n'ont nulle part où s'abriter. Malgré l'annonce du Plan Grand Froid, elles sont toujours dehors et en grave danger.
Parmi elles, il y a des mineurs, des personnes particulièrement vulnérables et fragiles.
Au regard de l'urgence de la situation, je vous demande de bien vouloir procéder à une mise à l'abri immédiate de ces personnes.
J'ose espérer que vous n'attendrez pas qu'il y ait des morts de froid pour agir. Des vies sont en jeu.
Cordialement



















La neige, aussi, dans ce qu'elle nous renvoie d'enfance, à nous qui ne pouvons résister, la prenons en photo, faisons circuler les images. Ici, elle ouate l'avenue. Derrière les fenêtres, sirènes, vrombissements, crissements, freins : la circulation incessante, bus dans les deux sens, ambulances, police, camions, camionnettes, pompiers, voitures, scooters, motos, musiques, cris, s'arrête pour la seconde fois en quinze ans. On n'entend rien parce que la neige tient.





































Voilà aussi ma ville.

Jeudi J'apprends qu'à cause de la neige, la Vallée aux Loups a fermé le parc et la maison de Chateaubriand : la soirée de vendredi consacrée à Joachim Séné, à son travail, à son regard sur l'écriture et le numérique, est annulée. Espérons qu'elle sera reprogrammée, il a beaucoup à dire.














(photo de Mathieu Simonet)

Le soir, c'est donc bal du silence à Beaubourg et j'ai la surprise de voir que non seulement cela se passe dans le terrain de jeu (dans Décor Daguerre, sont nommés "le terrain de je/u" à la fois le quartier des Halles et le musée d'art contemporain du centre Pompidou. Leur évocation constitue un "feuilleton" qui apparaît sous forme d'encadrés. Ici, c'est de la seconde acception qu'il s'agit : on nous convie à l'intérieur du musée), mais qu'en plus, nous allons écrire sous ce tableau de Richter qui m'a inspiré un passage du texte.
Dès le début, tout est jeu : au rez-de-chaussée, on nous met en ligne, nous distribue une feuille sur laquelle il est précisé qu'à partir de maintenant, nous ne pouvons plus parler. Nous piochons ensuite un chiffre ou un nombre. Il nous indique à la fois la place que nous occuperons pendant une demi-heure et la personne avec laquelle nous échangerons sans jamais entendre sa voix.
Je pioche le 12. Nous montons maintenant, en rang, jusqu'au quatrième étage. C'est festif, drôle, chaleureux : nous formons un tout, un ensemble qui se déplace légèrement, étrangement, uni par l'absence de parole. On ne parle pas mais on sourit. Les visages s'ouvrent. Cela me rappelle une performance effectuée avec les danseurs de Pièces détachées à Besançon durant laquelle nous devions, séparés de quelques mètres, des écouteurs dans les oreilles, effectuer les mêmes gestes en même temps, guidés par les ordres de Caroline Grosjean enregistrés sur baladeur. Un grand moment.



















Face à moi, une belle femme s'installe. Tout de suite, elle prend une feuille et un crayon et écrit quelque chose comme : 12. Qu'est-ce que c'est ? Nous voilà lancées. Au bout d'une demi-heure, je ne sais ni son prénom, ni où elle vit, ni ce qu'elle fait dans la vie et pourtant nous sommes passées du jeu au je. Quand une musique annonce la fin du silence, nous sommes surprises par l'intense brouhaha qui survient dans la salle. Nous, nous avons envie de parler, mais pas si fort. Nous étions dans l'intime, c'est fini.
20h. Je rentre avec le bonheur d'avoir grâce à cette rencontre, ce jeu, ce silence, évacué ce qui me traverse depuis quelques jours, mais ne va pas tarder à revenir.

Vendredi et samedi Ce qui me traverse, m'empêche de me concentrer et même de dormir, c'est une invitation maladroite à venir parler d'un de mes livres, à traverser la France en pleine semaine pour 20 minutes d'intervention sans précisions logistiques, pas même sur la date exacte et, après questionnement, sans être payée non plus : en somme, à faire joli dans le décor, à travailler comme s'il s'agissait d'un loisir alors que nous sommes dans un cadre professionnel. La place de l'auteur, qui semble n'avoir ni corps ni besoins ? Eh bien elle sera à sa table de travail : je préfère écrire. Lundi, j'enverrai un mail, après avoir pris trop de temps à ruminer. Thierry Beinstingel, sur son site, semble découvrir cette absence de considération professionnelle envers les écrivains, à laquelle j'ai été beaucoup confrontée et dont j'avais l'impression, ces derniers temps, de sortir.
Ne pas se laisser atteindre (apprendre à).


















(1962 : l'écrivain et poète Carl Sandburg, octogénaire, apprend à Marilyn Monroe comment lutter contre les insomnies par la pratique d'exercices de relaxation. Photo d'Arnold Newman)

En attendant, le vendredi, réunion pour préparer les dix ans de publie.net. Je termine aussi Marilyn and me, dont une scène m'a particulièrement frappée. Bien longtemps que je n'avais pas lu en entier un livre en anglais : un événement à petite échelle.
Continuer à écrire. Ne pas se laisser perturber. J'arrive à la fin du manuscrit, j'ai tendance à reculer, à introduire une séance non prévue, à vouloir devenir totalement exhaustive au lieu de liquider les quatre (ou huit) chapitres qui restent. C'est stupide, il ne faudrait pas.














La semaine prochaine, bien avancer, donc avant un atelier le mercredi à la Vallée aux Loups (sauf nouvel épisode de neige), l'inauguration de ma résidence à Chartres le jeudi à 18h (j'y lirai à nouveau la première partie de A même la peau avec les sons envoyés par Jean-Marc Montera, je pense - ci dessus, une photo piquée sur son mur Facebook hier) et un atelier d'écriture dans la galerie photo de l'Esperluète le vendredi.
Circuler entre paroles, bruits et silences, toujours.

dimanche 4 février 2018

Semaine #5 maisons, librairies, galeries


dimanche Charybde met en ligne l'enregistrement de la rencontre qui a eu lieu un peu plus tôt, animée par Gilda Fiermonte : quel boulot les libraires abattent-ils ! Où il est donc question en une heure, si je me souviens bien, de Décor Daguerre et de A même la peau, mais également du Marilyn, avec un nouvel extrait, et d'autres livres (Fenêtres, Cowboy Junkies...)

Ce même jour, Olivia Sanchez, qui m'accueille lors des ateliers à la Vallée aux Loups, nous envoie les photos qu'elle a prises lors de la Nuit de la lecture.












































































Le plaisir d'enjamber le cordon rouge, de franchir les vitrines que permet l'écriture est sans fin.

Lundi et mardi C'est d'ailleurs peu ou prou ce que je raconte les jours suivants à la Maison de la poésie, où j'interviens avec Jean-Michel Espitallier et Hélène Merlin-Kajman, lors de la formation pour laquelle j'ai fait le bilan de mes lectures la semaine précédente. Il s'agit d'animer deux ateliers de lecture et d'écriture, mais également de rester longuement sur la scène, par moments. Le premier jour, nous y présentons notre travail (je montre le teaser de Diptyque - succès auprès des enseignants, vivement que la pièce soit à nouveau programmée ! - et lis des passages de A même la peau). Le second jour, lors du bilan, nous parlons également résidences d'écriture. 



















Ce sont deux jours très pleins, à ne pas assez dormir, à naviguer au sous-sol, intervenir dans la petite salle où remue.net m'avait invitée en novembre dernier, lire, piocher au hasard, en tous sens dans la bibliothèque (privilège !), se perdre dans une cave, tomber sur un escalier qui entraîne ailleurs...

















... parler des oloé, faire écouter des 36 secondes et la nuit de la lecture, rire, s'écouter, imaginer des rebonds...














En fin d'après-midi, on se quitte, on se dit à bientôt sans doute. 
Et déjà, mercredi, c'est le moment de se rendre à Chartres. Avec Olivier L'Hostis, le libraire, nous allons faire de la radio, émission qui sera diffusée le vendredi. Surprise : les studios se trouvent dans un ancien cloître. Surprise bis : il s'agit d'une radio chrétienne (Radio Grand ciel), ce dont je ne me rends compte qu'après - cela ne change rien à ce qu'on se raconte, casque sur les oreilles.






























Douceur, douceur... Pendant l'émission, Olivier déclare que la librairie L'Esperluète, durant la résidence, sera ma maison. Je ne risque pas d'oublier cette phrase, qui résonne tout de suite. De retour à la librairie, d'ailleurs, je photographie ma "pièce d'écriture", oloé que je m'approprie et qui, en réalité, est une galerie photo.













(Simone de B. veille sur moi, comme on le voit)

J'ai un peu de temps, j'installe une chaise (que, pressée de ne pas rater le train du retour, j'oublierai de ranger), écris ce qui pourra à la fois me servir pour le livre à venir et le prochain atelier, lequel aura lieu à la Vallée aux Loups samedi. J'aime l'idée d'un lien possible entre les choses, les gens... Lors de la Nuit de la lecture il y avait ainsi des participants à mes ateliers venus de tout près, de Châtenay-Malabry, mais également d'autres écrivants avec lesquels je travaille parfois à Paris. Le vendredi 9 février, date où, à nouveau chez Chateaubriand, dans le cadre de La Science se livre j'interrogerai Joachim Séné sur son double parcours d'écrivain et d'informaticien (décidément, on ne quitte plus la maison !), une enseignante rencontrée à la Maison de la poésie m'a dit qu'elle se rendrait. C'est beau, toute cette circulation.



















Dans la galerie de L'Esperluète, où une série de photos de Bernard Plossu, liées par une thématique ferroviaire, est exposée, je rencontre un photographe qui me laisse sa carte et un jeune homme qui s'installe dans l'unique fauteuil de la pièce. Il lit tranquillement du Bataille. Plus tard, j'apprendrai qu'il laisse parfois croire à qui le lui demande qu'il est Plossu lui-même. 
Dans le train du retour, malgré la pluie battante qui ne m'a rien montré de la ville, je me dis, me répète que j'ai vraiment de la chance. Je sais qu'il s'agit en réalité d'un travail de longue haleine, d'une lutte contre le découragement qui prend quand les projets n'aboutissent pas, aussi. N'empêche : je savoure cette félicité tout en enregistrant ma voisine de derrière sans trop savoir ce que je ferai de ce bruit.














 jeudi : retour à Marilyn Monroe avec une visite à la Galerie de l'Instant, à Paris, qui expose et met en vente quelques photographies, dont ma préférée de Sam Shaw, signée par l'auteur :

 












La galerie en est à sa quatrième exposition sur Marilyn. Au vernissage de l'avant-dernière, où je m'étais déjà rendue, j'entamais à peine mon projet de livre. Il avait pris corps, secrètement, ce soir-là. Cette fois, nous sommes en 1962, je n'ai plus que trois séances à (d)écrire et il est impératif que je termine sans tarder la première version du manuscrit : Bruits tape à la porte.
(si jamais le Marilyn est un best-seller et que, par miracle, cette photo n'est pas vendue, je sais combien elle coûte !)
Discussion chaleureuse avec la jeune femme qui m'accueille : je reviendrai vite.

vendredi Le matin, les 36 secondes parlent d'amour. Ensuite, enfin, ne plus bouger, ne pas sortir. Se mettre, pour l'extérieur, en service minimum. Sur off, en veille, comme on voudra. Je regarde pour la seconde fois cette étrangeté qu'est le dernier, et inachevé, film de Marilyn reconstitué à partir de rushes. Je m'aperçois que je ne le vois pas, ne la vois pas elle de la même façon qu'il y a quelques mois. Je repars en arrière, crois avancer, recule d'un chapitre, avance quand même, enfin peut-être...


















samedi Et voilà comment la boucle de la semaine est bouclée : pour l'atelier à la Vallée aux Loups, j'arrive donc avec une proposition intimement liée à l'exposition Bernard Plossu à Chartres. Les ateliers qui se déroulent dans la maison de Chateaubriand se passent toujours très bien mais cette fois, il me semble qu'apparaît une dimension supplémentaire : celle d'un texte collectif, ramifié, enrichi à mesure que nous découvrons chaque texte particulier. J'enregistre les participants en me glissant sous une des tables de la bibliothèque (penser au corps : le travail entamé avec Magali, la danseuse de Pièces détachées, me revient) (par ailleurs, j'ai déjà effectué un enregistrement choral avec un des groupes d'enseignants le lundi à la Maison de la poésie, c'était une impro, l'idée a fait son chemin). 
Nous repartons vraiment contents, je crois.

*

La semaine prochaine devrait être moins agitée : un peu de Vallée aux Loups, et écrire.