Trois jours à Roubaix
c'est-à-dire : trois allers-retours Paris-Lille, trois départs de
la gare du Nord, trois rendez-vous à Lille Flandres, ou Lille
Europe, avec Nadia, le professeur de lettres à 9h, et donc six trajets en voiture
Lille-Roubaix, Roubaix-Lille, gare-collège, six fois à regarder par
la vitre, trop vite, les cités, les porches et les
murs de briques, à ne pas pouvoir les retenir.
Trois matinées, trois
après-midi avec les élèves. Trois jours à les regarder s'asseoir,
attendre, écouter, parler, poser des questions, commencer par dire :
Mais madame, je n'ai pas d'imagination ;
écrire, enfin, me
montrer sur Google images des images de la piscine
qui est un musée. Vous
ne connaissez pas Roubaix, madame ? Il faut aller au musée de la
piscine ! Le jour J, tard
en juin, peu m'accompagneront. Mais ce n'est pas grave. Entre temps,
il se sera passé des choses.
Que dire de ces trois
jours ?
L'étonnement en entrant
dans le collège Anne Frank, tout neuf, bien pensé, quoique lieu à
mystère (ainsi, est-il climatisé ? On peut y travailler sans
jamais le savoir, sans comprendre pourquoi de salle en salle la
température contraste, et de quelle façon, avec l'extérieur).
L'investissement, le si bel accueil de Nadia D., qui m'aura toujours
mise à l'aise. L'affection que certains élèves vont manifester -
surprise, oui, une bise quand je pars, la première fois. Et surtout,
le fait qu'ils jouent le jeu, acceptent le principe des ateliers.
Ecrire sur là où l'on
vit, où l'on croit n'avoir rien à dire. Raconter l'immeuble, la
chambre, le parc ou le stade, et les lieux de vacances : il
paraît qu'ici, comme les villes du 93 dans lesquels je me rends
aussi, et qui les fascinent, c'est l'enclave. Le monde est parfois réduit au
quartier, au collège, à la salle de prière me dit Nadia. L'un
racontera sa maison qui brûle, ses souvenirs d'enfance disparus.
L'autre, qui sans doute va quitter l'école, demeurer chez elle, son
plaisir à inventer des recettes. Une troisième me montre l'hôtel
de son été, au Maroc : grand luxe en effet, elle a raison de me
faire l'article. Une encore s'étonne que je ne sois jamais montée à
bord d'une limousine, qu'elle découvre lors d'un mariage... magie de
l'écriture qui rend riche.
Six séances en tout,
durant lesquelles la prise de contact est rapide, où l'enseignante a
la bonne idée, au début, de me faire interroger par chaque élève,
ce qui donne la possibilité de rire ensemble. Où ils emportent
Fenêtres, écrit dans le métro aérien – oui, on peut
écrire un livre en notant dans un carnet, dix minutes par jour, ce
que l'on voit de la ville ; oui on a le droit de le lire en tous
sens, en utilisant l'index de la fin ; et non, je ne connais pas
Roubaix, mais j'ai écrit sur Lille, sur la gare de Flandres – et
nous voilà partis à parler gares, quartiers proches, trains,
voyageurs, gens qui traînent, ce qui nous réunit.
On ne sait jamais si ce
que l'on dit lors d'une séance portera ses fruits un jour, chez qui,
comment, et à quel moment. Il ne faut pas trop s'en préoccuper.
Mais on croise les regards, on voit ce qui traverse, le point
d'impact.
Demeure ce regard, le souvenir
de ce regard, l'énergie qu'il donne et qui se transmet d'une vi(ll)e à
l'autre.
*
Grand merci à Nadia Djerdem et à tous ceux rencontrés au collège Anne Frank.
Je remercie également Nathalie Lurton de la Maison des écrivains, qui m'a proposée ces ateliers dans le cadre de l'opération menée par l'Education Nationale A l'école des écrivains. Des mots partagés.
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