l'horloge de la gare de Chartres

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mercredi 28 octobre 2009

Sur le Bosphore : Orhan Pamuk

"Les bateaux du Bosphore datant des années 1940 et que mon père et mes oncles connaissaient par leurs numéros et leurs silhouettes ont tous fini, hormis un ou deux, en restaurant pour touristes ou à la casse. Mais certains vieux bateaux fonctionnent encore sur le Bosphore, et il y a toujours des centaines de milliers de passagers assis le long des flancs qui contemplent les maisons d'Istanbul, qui montent sur le pont pour respirer l'air vivifiant de la mer, qui boivent leur thé et lisent leur journal à bord en allant au travail. Dans le sillage des vapurs que j'aperçois de la fenêtre de mon bureau, surtout les journées d'hiver, apparaît une multitude de taches blanches. Les mouettes attrapent avec adresse les morceaux de simit ou de pain qu'on leur jette. En hiver, il se trouve toujours quelqu'un sur ces bateaux pour leur lancer quelque chose. Ce qui est en train de disparaître, c'est la relation individuelle qui se nouait entre ces bateaux et les gens, qui les considéraient non pas comme de simples navires mais comme des personnages."

Orhan Pamuk, D'autres couleurs, Gallimard, page 105.


D'autres couleurs est un recueil de soixante-seize textes courts d'Orhan Pamuk, dans lesquels l'auteur évoque, entre autres, des souvenirs d'enfance, son père, La Chartreuse de Parme, Dostoïevski, le tremblement de terre de 1999, les livres de sa bibliothèque qui lui font honte et dont il tente de se débarrasser...


L'avant-dernier récit s'intitule "Regarder par la fenêtre", mais ce n'est pas pour cette seule raison, bien sûr, que j'ai eu envie de citer un extrait de ce livre. Il y a l'idée de trajet, de liens noués avec ce qui vous transporte (et j'en profite ici pour dire que, décidément, les MF2000, ces rames de la ligne 2 qui remplacent progressivement les MF67 de Fenêtres, mesquinement conçues pour entasser le maximum de passagers, lesquels ne pourront jamais s'asseoir, le nombre de sièges ayant diminué dans un tour de passe-passe : non, vraiment, merci, même si les vitres sont plus larges) (Orhan Pamuk ne dédaigne ni la parenthèse, ni la digression, au sujet de laquelle il consacre plusieurs lignes dans son livre, c'est pourquoi les MF2000 ne sont pas ici hors sujet) (bref !).

Il y a ce regard sur le trajet, donc. Et surtout il y a Istanbul, ville découverte il y a une dizaine d'années lors de l'élaboration d'un cd-rom littéraire qui aurait permis, s'il avait pu être mené à bien, une visite de places en places, de textes en textes, du XVIe siècle à nos jours. Ce cd-rom, pour des raisons financières, n'a jamais existé mais le dernier Pamuk me donne envie de citer les auteurs, turcs et étrangers, qu'on aurait pu y lire. Les voici, dans le désordre, de mémoire et pour le plaisir (c'est un autre trajet, après tout) :

Edmondo de Amicis, Villalon (un soldat espagnol du XVIe siècle fait prisonnier par l'armée ottomane), Alphonse de Lamartine, Gustave Flaubert, Emine Sevgi Ozdamar, Théophile Gautier, Gérard de Nerval, Latife Tekin, François-René de Chateaubriand, Michel Butor, Nedim Gursel, Orhan Pamuk, Edmont About, Agatha Christie, Pierre Loti, Sait Faik, Nicolas Bouvier, Georges Simenon, Eric Ambler, Nazim Hikmet, Yachar Kemal, une Anglaise du XVIIIe siècle adepte des bains turcs dont j'ai oublié le nom... Lady quelque chose...

(photo : Istanbul en 1940, Life)

3 commentaires:

Anonyme a dit…

dans ces lieux du moyen orient, Istanboul, mer Noire, Roumanie, Bulgarie, Tchécoslovaquie, ces noms de la moitié du 20° siècle, les commanditaires, les gens qui échangent, malgré le mur, et puis le monde est tel qu'il est, comme disait Bourdieu "les affaires sont les affaires" , voilà mes grands parents commerçants, courtiers, acheteurs, les voilà dans ces contrées un peu mystérieuses, étranges et lointaines, et puis mon grand père qui revient, qui s'assoit sur son fauteuil près de la fenêtre, et qui, sur ma petite tête, pose sa main tout en psalmodiant tout bas les versets de ses poèmes en hébreu... Moyen Orient, Afrique du nord, là-bas

Anne a dit…

c'est bien qu'ils viennent s'immiscer là, tes grands-parents, merci beaucoup...

Anonyme a dit…

ces trucs-là sont bizarres, tu vois, j'ai mis aussi chez AME un truc sur mon grand père... sans m'en rendre compte en vrai... (elle a mis une lettre de Proust à sa grand mère...) et je crois que cette relation est l'une des plus tendres entre humains.. je crois... (merci à toi) et donc l'une des plus vraiers