l'horloge de la gare de Chartres

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lundi 12 janvier 2009

Jaurès, croisements


"Elle sortait, la méthode s'ouvrait, dictait. Atteindre d'abord la guérite de la vendeuse de billets de loterie, flairer dans une entaille le relent de la malchance, stationner à côté de la grotte du marchand de journaux, se présenter à l'escalier du métro Jaurès après avoir traversé à trois heures de l'après-midi le passage clouté du boulevard de la Villette. La méthode se refermait devant l'établissement Les Palmiers, à l'angle du quai de la Loire et de l'avenue Jean-Jaurès, des jeunes filles entraient dans le café. Elle baissait les yeux, le trottoir était de son âge, février pris dans le brouillard se renfrognait, carrefours et coins de rues se ressemblaient. Elle errait autour de l'autocar Sevran-Paris toujours vide, toujours silencieux.
(...)
Elle revenait du côté des Palmiers, elle évitait de passer à proximité du café. Il gelait, des jeunes filles buvaient du Coca-Cola avec des pailles. Elle traversait le passage clouté de l'avenue Jean-Jaurès, près de la station du métro Jaurès, le marchand de journaux se tassait, les pièces de monnaie tintaient dans la soucoupe. Quatre heures moins le quart. Tous les jours à la même heure, un petit pain au chocolat tombait à ses pieds, dans le ruisseau."

Violette Leduc, La Femme au petit renard, 1965, Folio, pp. 9-11.

C'est presque le début du roman. Une femme, dont les fenêtres donnent sur le métro aérien, sort de chez elle, circule dans le quartier Jaurès. Elle est pauvre, elle a faim, cherche à tromper sa faim en scrutant ce qui l'entoure, en y trouvant des signes.

Je passe souvent au carrefour Jaurès où se croisent les avenues, les métros et les gens, en pensant à ce livre.

*

Le week-end dernier, en rangeant des papiers, j'ai retrouvé un texte écrit en 2001 d'après une proposition de Télérama, elle-même inspirée de contraintes perecquiennes. Il s'agissait, un certain samedi, de se poster tous à l'endroit de Paris de son choix (à une fenêtre, je suppose, une vitre en tout cas) et d'y décrire ce qu'on y voyait pendant une heure. J'avais décidé, sans faire me semble-t-il la relation avec le livre de Violette Leduc, de m'installer au Jaurès, bar brasserie située exactement à la place des Palmiers.

C'était en 2001, pleine époque d'écriture de Fenêtres, un samedi de février entre trois et quatre heures, horaire imposé par Télérama. Or la femme au petit renard passe devant les Palmiers en février, entre trois et quatre heures, je viens de m'en rendre compte en recopiant ces deux extraits...

Alors, tant qu'on y est : en février prochain, à J + 1 de la date anniversaire du texte de 2001, entre trois et quatre heures je parlerai de Fenêtres. Au 104 : ce point extrême du trajet dont le Jaurès devient le centre.

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