l'horloge de la gare de Chartres

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vendredi 3 juin 2011

Chambre close, de François Bon

Le soutien de François Bon, il y a dix ans, lorsque je lui ai envoyé 'Fenêtres Open space' et qu'il en a publié le début sur remue.net, a beaucoup compté, je crois qu'on le sait. Il ne m'était jamais arrivé auparavant d'être accueillie de cette façon, et je l'ai été par quelqu'un dont les livres trouvaient en moi, trouvent toujours, un très grand écho - au passage, je ne suis pas sûre de le lui avoir beaucoup dit. 
On se doute de ma fierté à le recevoir ici aujourd'hui, pour les vases communicants, sur le thème de la chambre close ("le contraire de l'open space", m'a-t-il écrit ; en ce qui me concerne, poursuite d'un motif déjà présent sur le site de Christine Jeanney). 
Mon texte sur le Tiers livre a pour extension invisible le mot tumulte
















Ce sont nos chambres fortes. Toutes les chambres qu’on porte en soi sont des chambres qu’on barricade. Ce sont des chambres closes. Elles sont closes parce que dans le souvenir on ne passe pas par des couloirs d’une chambre à une autre. Dans le souvenir ou les rêves, si on marche dans les couloirs, ils ne mènent qu’à d’autres couloirs. Si on est devant une fenêtre, et qu’on se détourne de ce qu’elle vous propose au-dehors, on n’est pas dans un endroit clos : si même on est dans une chambre, c’est une chambre sans mur. 

Et la littérature est remplie de chambres closes. Est-ce qu’un livre n’est pas une chambre, chaque fenêtre n’y ouvrant que sur le livre même, ce qu’il tisse et construit. 















Nous aimons les vieilles cartes, leurs enluminures, ou ces peintures représentant le dedans de la tête des hommes, parce que ce qui s’y représente c’est une suite d’ensembles clos, qui ne communiquent pas – et ainsi nos chambres. 

Je peux décrire les chambres de l’enfance, et la pièce à écrire. Je peux décrire les chambres de passage, et je saurais toujours en figurer la porte mais si c’est pour lire ou pour écrire la porte est toujours close – et je ne me souviens des chambres qu’en fonction de ce que j’y ai lu ou écrit. 

Des livres de mystère se construisent sur les chambres jaunes, en font des chambres closes. On peut imaginer toutes les variations. Il s’est passé ceci, dans cet espace et ce temps, et rien ne peut être expliqué sans intervention extérieure : mais la chambre close (et ainsi est-elle en nous-mêmes) n’a pas d’extérieur. 

Je construis dans l’écriture comme je reste dans cette chambre du dedans : les fenêtres sont des phrases peintes, et le bruit du dehors une phrase dite. Le personnage : je n’utilise pas de personnages, que de l’espace et des voix. Quand je lis dans les livres des chambres avec personnages, je les démonte. Ils sont une forme opaque, une présence abstraite qui gêne. Ils sont juste le mouvement de la phrase dans son espace muet. Le personnage dans n’importe quel livre a toujours les yeux écarquillés de terreur, à ne pas comprendre ce qui l’a séparé de la vie pour l’enclore dans la chambre. 














Le grand auteur s’enfermait dans sa chambre un jour par semaine pour sa journée de silence. Elle comportait un tabouret et une table, dans certaines variantes ou certaines époques un tabouret seulement. Des murs blancs. Dans la version avec table, au bout de la table un broyeur à papier (le temps des ordinateurs n’était pas venu). Il n’y a pas, dans la pièce pour la journée de silence, de couche ni d’autre siège – mais peut-être, si le soleil tape aux vitres, si au sol on a un parquet ciré, qu’on peut cependant s’allonger au sol et laisser venir le sommeil et le rêve qui préludera aux choses qu’on note, ce qu’on dit écrire. Je sais ce qu’il a écrit : on n’a pas les versions intermédiaires (broyeur à papier), mais on a le document final. 

Dans ma chambre close j’ai un pied solide, un pied technique, qu’on utilise sur scène dans les spectacles, et un support spécialement arrangé pour la tablette tactile. Elle est à hauteur du bras, pour écrire debout, pour écrire mobile. J’ai trouvé cela. 

La chambre close ne supporte rien en ses murs. Elle est résistante aux bruits du dehors, ne supporte pas d’autre image que ce qui vient du dedans. Quelquefois, dedans, rien. La chambre est ce qui permet l’attente. 

Le récit alors est d’abord – et pour chacun – le récit qui la montre. Ce récit. 

3 commentaires:

Anonyme a dit…

et peut-être de ces vases risquent-elles de s'ouvrir...

Brigetoun a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Brigetoun a dit…

le commentaire supprimé c'est moi, pour une faute de frappe qui hurlait
et il se bornait à recopier, parce que j'aime
"si même on est dans une chambre, c’est une chambre sans mur."