l'horloge de la gare de Chartres

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dimanche 4 mars 2018

Semaine #9 écrire, sortir, oui, non












Volte-face, donc.

Lundi Je commence par créer un message automatique pour indiquer à qui m'enverrait un mail ou voudrait me téléphoner que cette semaine, je me déconnecte. Idem sur les réseaux sociaux. Puis je trouve comment en finir avec la description des séances photo (je n'ai pas dit : avec le livre). Ca me vient tout de suite, ce qui me perturbe un peu. Trop facile ? Possible. Non seulement ça l'est, mais en plus l'idée paraît tenir, en tout cas pour l'instant je peux la justifier, d'où une certaine patauge toute cette première journée. Ecriture quand même. Cap passé des 420 pages, le manuscrit première version en comprendra dans les 430 à la fin, comme je le supposais, peut-être davantage (pas sûr).

Unique sortie du jour : Les Rendez-vous d'Anna, de Chantal Akerman, à la Cinémathèque.



















(Allan Grant, 4 juillet 1962)

Mardi 431 pages, et je n'ai pas fini. Je ne sais plus si la lassitude à décrire les scènes est celle de mon personnage ou la mienne. Il m'aura quand même fallu tout ce temps-là, presque trois ans, pour en avoir assez. C'est peut-être seulement la peur d'en finir, alors que j'en rêve ? 
Impression, comme hier, que ce qui se présente n'est pas terrible, qu'en tout cas il faut s'en méfier. Mais je savais que la fin apparaîtrait ainsi, de façon flottante, c'est logique, pas d'étonnement. 
Se couper du monde, faire l'ours commencent à me plaire. Se couper de la rue, du froid, des autres, du réel, des nouvelles, de ce qu'il y a sur le compte en banque, de ce qu'il faut anticiper. 
Le matin, j'ai rangé le dossier Marilyn de mon ordinateur : un monstre, des versions, des photos, Marilyn partout.

Unique sortie du jour : le Franprix, cinq minutes, avant la tombée de la nuit (des oeufs de poule élevées au lin, des sardines au citron, des gâteaux japonais)













(Georges Barris, 30 juin 1962)

Mercredi Aujourd'hui, c'est le contraire d'hier. Cette séance de Bert Stern dont il est sans cesse question, qui tourne dans le monde entier au point que je ne la supporte plus et n'écris rien à son sujet, eh bien je vais y plonger, ou du moins essayer. Je réserve pour l'après-midi tous les livres que je trouve à la BNF et lorgne sur un documentaire inédit en France, finalement facile à trouver.
(si j'avais noté scrupuleusement tout ce que j'ai cherché ou fait pour écrire VF, cela aurait donné un second livre, il y a un moment que je le sais, même à ne jamais aller voir sur place, je veux dire aux Etats-Unis)



















(Bert Stern, 21 juin 1962)

Sortir. N'est-ce pas encore une fois ne pas vouloir terminer le livre ? Je ne sais pas.
Je connais quelqu'un qui ne termine jamais son livre pour ne pas mourir. Il aura cent ans en juin.
A la BNF, je finis de regarder le documentaire sur Bert Stern commencé chez moi, lis un livre le concernant, décide de noter le déroulé de la fin du mien (que je connais, en fait, depuis un moment). Il n'y a plus qu'à, comme on dit.
La nuit tombe. J'en sais beaucoup plus que ce matin sur la vie et l'oeuvre de Stern et je sais aussi qu'une fois les pages écrites, je vais tout oublier ou presque.




Jeudi Je sais la fin du livre, voilà ce que je me répète en sortant de la BNF et ne dis à personne. Le matin, au réveil, la ville est blanche : je voulais aller nager avant de m'y remettre, suis découragée. Les travaux dans mon immeuble finiront peut-être par me pousser à mettre le nez dehors ? Non, non, non, écrire, finir cette séance Stern. La succession de cet homme m'a l'air d'un glauque achevé, par ailleurs, mais ce n'est pas le sujet. A la fin de la journée la séance est écrite, et ce sera la dernière mais franchement, j'aurais pu sortir, aller nager par exemple.

Sortie du jour : descente des poubelles dans la cour, c'est dire.
La nuit tombe, allez hop, dehors, le temps de faire un tour du quartier, déambulation  dans un grand n'importe quoi vestimentaire et musical : le "juke-box fou", selon l'expression de Gilda Fiermonte, que j'ai dans la tête me fait fredonner alternativement des chansons de Françoise Hardy période années 80 (hérésie, je sais) et "C'est moi, c'est moi Lola" comme si j'étais Anouk Aimée, tandis que j'ai l'impression d'être habillée pour aller changer une roue de camion. Demain matin, commencer par la nage, pas de discussion.


















(André de Dienes, 1946)


Vendredi Je ne commence pas du tout par aller nager : je finis mon livre. A midi, voilà, ça y est, c'est terminé. Près de 450.000 signes, plusieurs années de travail, et de longues heures (semaines ?) encore à relire, à retravailler, à réajuster - j'ai abandonné Betty Page dans un couloir de mon exposition, il va bien falloir que j'en fasse quelque chose, par exemple - mais enfin voilà. Victoire, quand même, sur ces éditeurs qui vous lancent sur une piste, s'enthousiasment puis coupent court, ne répondent plus au téléphone ; sur l'argent qui manque et la façon de le gagner pour continuer à écrire, dans une invisibilité totale ; sur les doutes, les inquiétudes.
Savourer la satisfaction, parce que d'expérience elle dure peu. Quelque chose s'en vient, qu'on peut nommer, dont on peut parler, qui va prendre son autonomie : un bon gros bébé qui tient sur ses jambes, me dis-je. Voilà comment je me le représente.
Allez hop, nager ! J'arrive à la piscine : bonne blague, elle est fermée depuis quinze jours pour nettoyage des bassins, rouvre demain. J'ai écrit le corps réduit à une tête, à deux mains qui tapent et deux yeux, et je n'ai rien raté : les lignes d'eau m'auront attendues.

Sortie du jour : après la piscine ratée, marcher dans Paris sans prendre ni notes ni photos.

Samedi Jour du corps, enfin, longueurs sur 40 minutes, puis traverser à pied la moitié de la ville. Le soir, je m'occupe du petit son promis sur l'avenue Mozart (mélange de texte lu, de bruits de la rue et de radio-boutique) à Philippe Aigrain, hop, hop, à onze heures ou minuit c'est fait.
Et demain ? Ah, demain, c'est matinée avec Magali Albespy.















Dimanche Pluie continue, métro aérien bâché de blanc, lire le début de Fenêtres dos à la ligne où il fut écrit seize ans plus tôt, lire également un peu de la nouvelle Tu n'es jamais seul/e dans la nuit inspirée par une performance de Serge Teyssot-Gay et Paul Bloas il y a quelques années, sept ans, tiens, oui. Dans le métro, penser par décennies. Se dire que, même lentement, même à avoir envie de tout secouer pour que ça accélère, aille plus vite, les choses avancent.
Dans la salle de danse, le corps qui revient, imperceptiblement tandis que les autres dansent, chantent, parlent, murmurent, s'allongent, s'écoutent, cherchent, tentent, rient.

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