l'horloge de la gare de Chartres

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dimanche 9 octobre 2016

mobile immobile



Brusquement cette vidéo de 2008 revient à la surface, par le commentaire d'un inconnu dont YouTube m'informe, par le désir de la regarder à nouveau puis, après avoir observé ce qui a changé, a disparu, s'est modifié, par celui de la poster sur un réseau social, ce qui provoque une réflexion nouvelle, celle d'un ami cette fois qui reprend son commentaire dans son journal filmé, et le prolonge.

Incapacité de se fixer, de travailler de façon classique ; livre qui se lit le temps d'écouter un disque ou de faire un trajet de métro ; traversée de la ville d'un quartier populaire au boulevard figé dans son luxe ; décors mouvants, inamovibles ; bifurcations, embranchements, temps de pause : le mouvement et l'immobilité m'occupent depuis que j'écris, se répondent, circulent. Mobile immobile, tel était le titre d'un livre sur les musées que j'ai abandonné, auquel je ne pense plus tandis que le bruit, la photographie, le cinéma, la nage viennent pêle-mêle lancer les suivants - ce qu'on fuit, ce qu'on épingle, ce qui nous parasite, nous obsède, tout se croise et croise les phrases, les images de ceux que je lis, suis, regarde. 

Alors, que dire d'ici, que dire de cette vidéo ? Bien sûr, ce qui me vient ce soir et ne s'y trouvait pas à l'époque, ce sont les silhouettes, les visages des réfugiés dont les tentes, les cartons, les matelas s'entassent à La Chapelle, à Stalingrad, à Jaurès, à Colonel Fabien, sont chassés et réapparaissent depuis des mois. Qu'on aperçoit chaque jour à la vitre de la ligne 2 avant ou après la rotonde, le long de l'avenue de Flandre ou du boulevard de la Villette. Impression d'un mouvement, d'une boucle, d'un sur-place perpétuels, d'une inertie, d'une accélération terribles, et je me dis soudain que 2008, année de cette vidéo, année dite de la crise - mais elle n'était encore qu'américaine -, me paraît une sorte de curseur placé entre 2001, année où j'écrivais mon livre, et toutes les bascules de 2015. 

En 2008, je croyais ne filmer que du très quotidien, pris un jour d'été avec un camescope de poche à tester pour un magazine qui n'existe plus, consciente tout de même que ce qui nous paraît anodin prend une épaisseur, une étrange valeur au fil des années (sujet de départ de Décor Daguerre, disons). Il ne s'agit pas de nostalgie, plutôt de stupéfaction née du mouvement même du film, de sa proximité mimétique avec ce qui fut. Il s'agit aussi des traces invisibles de la guerre et de la misère quand je crois seulement scruter le squat dont j'aimais la façade, remplacé par un immeuble qui me plaît aussi. Depuis le début, le monde entier se précipite entre les cinq stations de ce trajet, même à regarder un homme en chemise, même à écouter une voix d'enfant. 

Pour écrire ce post je tape "Facebook", "réfugiés de la guerre civile syrienne", "politique de la ville". Je retourne à la vidéo, ne sais plus de quelle année je parle pour finir. S'il y a déjà des militaires partout ? Des publicités de la RATP dignes de 1984 ? Non, pas encore : voilà qui signe l'époque, la nôtre, celle d'après le curseur. Restent les feuilles des arbres, la tête de l'une sur l'épaule de l'autre dont on espère qu'ils nous relient encore. 

Il s'agit en tout cas de l'écrire.

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