l'horloge de la gare de Chartres

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mercredi 12 novembre 2008

Fenêtres de Nouvelle-Zélande

A Dunedin :

"Plus tard, je m'assis sur mon lit dans ma petite chambre qui donnait sur des murs de briques, des kilomètres d'immeubles avec de hautes cheminées. En me penchant par la fenêtre, je voyais, juste derrière la grille qui ouvrait sur la ruelle, le petit jardin tout fleuri de géraniums ; auparavant, je n'avais jamais pensé qu'il pût en pousser dans une ville, mais leur velours feu était sali d'une couche de suie. Je pris conscience que j'étais seule pour la première fois dans une ville grise, et un sentiment d'attente et d'excitation s'empara de moi ; puis, peu à peu, l'exaltation fit place à l'angoisse. Et voilà, c'était le face-à-face avec l'Avenir - la solitude, personne à qui parler, la peur de la ville, de l'Ecole Normale, de l'enseignement ; et il me faudrait nier ma solitude, faire comme si j'avais un grand nombre de gens à qui parler, comme si je me sentais bien à Dunedin, et comme si enseigner était depuis toujours mon désir le plus cher."

A Wellington :

"Et alors, les bruits parurent se rapprocher tellement que je retournai à la chambre, et me penchai à la fenêtre, dans l'obscurité. Elle dormait paisiblement. Je ne parvenais pas à la réveiller ; j'essayais, mais sans résultat. De moment en moment, mon sentiment d'horreur se faisait plus vif. Dans la cour, la palissade devenait effrayante. Comme je la regardais, je vis les piquets se métamorphoser en Chinois, abominables. Je les voyais très bien, appuyés contre rien, les jambes croisées, la tête agitée de mouvements saccadés. Il faisait un froid affreux."

A Seacliff :

"Comme le train approchait de Seacliff, les arbres devenaient plus nombreux, et une fois encore, il se faisait un mouvement dans le wagon lorsque les voyageurs se rendaient compte que le train arrivait à la gare de Seacliff ; et l'hôpital, l'asile, apparaissaient furtivement entre les collines, comme un château de pierre sombre.
Le train pénétrait dans la gare. Oui, c'était là qu'étaient les fous, et tout le monde se mettait aux fenêtres pour voir ; à Oamaru, on disait d'eux qu'ils étaient "là-bas" à Seacliff, et à Dunedin qu'ils étaient "là-haut". Souvent, c'était bien difficile de dire qui était fou."

De la vitre du train, dans la plaine de Kaingaroa :

"Partout, sur les collines, on aperçoit de grands troncs carbonisés, on jurerait des animaux fantastiques, crocodile bâillant, cheval sans tête, oison géant, chien de garde. En plein jour, on sourit de ces imaginations, mais dans l'obscurité, quel cauchemar ! De temps à autre, les troncs argentés, comme une armée de squelettes envahit les collines."



A Seacliff à nouveau :

"Lorsque le train s'arrêta à la gare de Seacliff, je vis les quelques patients en permission de sortie qui attendaient sur le quai pour voir passer le train. Je savais, n'est-ce pas ? En moi-même, je me décrivais toujours avec les mots que j'avais entendu les parents et les amis employer maintenant pour parler de moi : "Elle a été à Seacliff. Il a fallu la mettre à Seacliff."

De retour après sept ans d'absence :

Enfin nous entrâmes dans le golfe de Haukari, naviguant lentement devant les baies bordées de maisons de couleurs étonnamment vives (...). J'avais tout oublié des maisons bariolées comme des confiseries et des profondeurs vertigineuses du ciel, qui n'était pas lointain mais à portée de main, à portée de regard, un ciel partagé."









Dunedin, Seacliff : Janet Frame, Parmi les buissons de Matagouri (Un ange à ma table, tome II), Hommes et groupes éditeurs. Traduction de Françoise Robert.

Wellington, plaine de Kaingaroa : Katherine Mansfied, Journal, Gallimard, collection Folio. Traduction de Marthe Duproix, Anne Marcel et André Bay.

Golfe de Haukari : Janet Frame, Le Messager (Un ange à ma table, tome III), Editions Joelle Losfeld. Traduction de Dominique Mainard.

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