l'horloge de la gare de Chartres

l'horloge de la gare de Chartres

lundi 25 avril 2016

apparition


Tu es dans l'eau, debout et nue. Le cadrage du photographe t'a tranchée à la verticale. Il te manque un tiers du corps ou peut-être même la moitié. Il te manque un sein, le bras gauche, une cuisse, un genou, un tibia, un pied. Il t'a aussi coupé la tête, presque sectionné le bras droit.
L'eau grise est celle d'une piscine, de Jamaïque précise le livre. Elle déforme le bas de ton corps, fait dériver ton ombre qui renseigne sur le temps qu'il fait, beau, ainsi que sur ton geste hors champ : relever les bras en couronne pour soutenir la tête, posture que le photographe suggère, pose d'actrice, de mannequin, de modèle qu'il ne se permet pas, ne fait entrer dans le cadre que par cette ombre au centre, très présente mais qui reste légère. A bien y réfléchir, il y a peut-être une certaine ironie dans ce geste tombé à l'eau, qu'un coup d’œil rapide ne reconstitue pas – il faut regarder longtemps, vouloir lire l'image, même, pour qu'il daigne apparaître.
De l'ironie ? Oui, c'est possible. Mais le décalage qu'elle induit ne change rien à la beauté du corps fixé sur pellicule : l'écart ne s'impose pas, se donne pas comme tel. Ainsi le photographe gagne-t-il en subtilité, autant dire sur tous les tableaux.
Ce qu'on voit le mieux, ce qui frappe, c'est un grain de beauté au-dessus d'un téton, le nombril, le pubis.
Ce qu'on voit le mieux, je le crois, c'est le biceps du bras tronqué. A peine remarque-t-on les poils de ton aisselle qui, si on considère que ton corps est ton instrument de travail, devraient surprendre, même à l'époque. Chez toi, l'épilation est chose étrange. On ne sait que penser de ce pubis-là, en triangle écrasé par la ligne de l'eau.
Ce qui frappe, c'est ce que l'eau déforme de ton corps : la cuisse gauche, à qui elle invente un bourrelet ; la jambe qui perd de sa longueur, tout entière ramassée dans un genou en creux. À bien y regarder, et pour qui te connaît, ton ombre paraît plus réelle que ton corps. Faut-il que tu t'inquiètes ?

 *
Le texte ci-dessus est le début de L, seconde partie du Diptyque que j'ai écrit l'an passé pour la compagnie de danse Pièces détachées. On peut en entendre des fragments, lus ou chantés par les danseurs (should you worry ?) dans cette vidéo :


La photographie qui le précède n'est pas celle que le texte décrit. Il s'agit d'un portrait de Marilyn Monroe pris par Earl Moran, grand spécialiste des pin-up, à la fin des années 40. Pourquoi poster cet article aujourd'hui ? Probablement parce que, écrivant en ce moment un livre sur Marilyn dont le sujet est assez proche de celui de L (une femme photographiée par un homme, pour le dire vite), l'envie me vient de le sortir un peu de cette invisibilité dont j'ai déjà parlé ici. Parce que les deux textes commencent à se rejoindre, que des points de jonction se mettent à apparaître. Quelque chose du mouvement, et donc de la vie, s'en vient : je ne sais pas encore le nommer, mais voici.

vendredi 15 avril 2016

la force du fil

"Une paillette d'or est un disque minuscule en métal doré, percé d'un trou. Mince et légère, elle peut flotter sur l'eau. Il en reste quelquefois une ou deux accrochées dans les boucles d'un acrobate.

Cet amour - mais presque désespéré, mais chargé de tendresse - que tu dois montrer à ton fil, il aura autant de force qu'en montre un fil de fer pour te porter. Je connais les objets, leur malignité, leur cruauté, leur gratitude aussi. Le fil était mort - ou si tu veux, muet, aveugle - te voici : il va vivre et parler.

Tu l'aimeras, et d'un amour presque charnel. Chaque matin, avant de commencer ton entraînement, quand il est tendu et qu'il vibre, va lui donner un baiser. Demande-lui de te supporter, et qu'il t'accorde l'élégance et la nervosité du jarret. A la fin de la séance, salue-le, remercie-le. Alors qu'il est encore enroulé, la nuit, dans sa boîte, va le voir, caresse-le. Et pose, gentiment, ta joue contre la sienne.

Certains dompteurs utilisent la violence. Tu peux essayer de dompter ton fil. Méfie-toi. Le fil de fer, comme la panthère et comme, dit-on, le peuple, aime le sang. Apprivoise-le, plutôt."

Jean Genet, Le Funambule.




 Il y a trente ans, Jean Genet mourait dans une chambre d'hôtel du 13e arrondissement, à Paris, où il n'avait pas ses habitudes. La veille avait disparu Simone de Beauvoir. Le Libé de Genet reprenait une photo, je crois, où on les voyait à la terrasse d'un café, elle debout lui assis, souriants et proches. Je crois seulement, car j'avais à l'époque si bien découpé l'article pour le punaiser sur le mur de ma cuisine, à Jourdain, que si je retrouve aujourd'hui deux exemplaires du même journal, aucun ne compte plus l'article. A moins que cette photo ne vienne du dossier Beauvoir, auquel il me manque une page, également découpée ?

Le Libé du 16 avril, celui de Genet, annonce pour le soir même un concert de Nico au Rex Club à 20 heures, des bombardements contre Kadhafi qui manquent leur cible et un attentat raté contre le numéro deux du CNPF. Le Libé du jour de sa mort, où Beauvoir est en une, consacre une page à ce qui va devenir le projet de loi Devaquet - mais c'est Monory, ministre de l'Education Nationale depuis peu, qui en parle.  Je regarde le reste, tourne les pages : rien qui puisse me toucher, sinon.

Je me rappelle très bien, par contre, où je me trouvais quand j'ai appris la mort de Genet ce 15 avril, qui me l'a annoncée et ce que j'ai fait ensuite. Souvenirs d'une netteté totale, jusqu'à la couleur du mur, jusqu'au renfoncement où s'asseoir en attendant le cours, Sorbonne où je venais d'arriver, ne pensant qu'à Beauvoir. De cela, les journaux gardés ne portent aucune trace, bien sûr. Il faudrait peut-être l'écrire un jour, ce 15 avril, me dis-je. Pour sauver quelque chose. Savoir où conduirait ce fil.

mardi 12 avril 2016

après la pluie

j'aurais aimé, j'aimerais toujours 

 












écrire un long article pour dire tout ce qui, ces derniers jours, est allé remuer, bien debout puisqu'en marche












(il est hors de question que cet en marche soit confisqué)














les croisements, les regards, jusqu'où nous avons pu nous rendre, ce que nous avons tenté (il s'agit toujours de chercher du neuf, même au bout de ces années passées à écrire, à lire en public, à faire écrire, faire lire...)
 











nos projections simultanées sur deux écrans à Vernou  le samedi, trois heures de préparation montre en main à nous quatre (on n'aurait pas cru) et la façon dont ça nous lie












les rencontres merveilleuses à Strasbourg le mardi suivant, la pluie, le train, les discussions, les rues, les photos, les voix, les textes, tout cela ancré en mémoire

nous c'est-à-dire L'aiR Nu, qui prend corps, s'attelle à l'objet final qui sera site et livre après la résidence à Moret, part à Strasbourg proposer une déambulation, revient chargé de désirs et d'idées


j'aurais voulu mais au retour il me faut courir, rattraper l'écriture personnelle et chercher de l'argent en même temps, courir après qui m'en doit, ne pas perdre le fil des deux textes sur lesquels je travaille en même temps

courir
en même temps
un seul corps et combien de fils ?
 


c'est l'élan qui importe on le sait
ne pas se laisser courber ni plier c'est l'éprouver chaque jour

je retourne écrire et courir, mais me dis que pourront raconter à ma place : 
- le lien de l'objet ville au Loing, que je ne mets pas ici parce que le travail n'est pas terminé, qu'il est encore trop tôt, mais que, voyant ce qui se dessine, j'ai déjà envie de citer
- l'article de L'aiR Nu qui explique la déambulation à Strasbourg (marcher lire regarder enregistrer écrire lire enregistrer coder écouter)
- le site créé en trois jours, à Strasbourg donc, lors du festival Les Racontars du numérique, proposition qui mêle livres d'auteurs souvent contemporains et textes écrits en atelier



Toute ma gratitude à Franck Queyraud pour son invitation aux Racontars, son attention, son soutien, sa perception fine de notre démarche et de ce que nous tentons de faire : merci, Franck.