l'horloge de la gare de Chartres

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vendredi 15 avril 2016

la force du fil

"Une paillette d'or est un disque minuscule en métal doré, percé d'un trou. Mince et légère, elle peut flotter sur l'eau. Il en reste quelquefois une ou deux accrochées dans les boucles d'un acrobate.

Cet amour - mais presque désespéré, mais chargé de tendresse - que tu dois montrer à ton fil, il aura autant de force qu'en montre un fil de fer pour te porter. Je connais les objets, leur malignité, leur cruauté, leur gratitude aussi. Le fil était mort - ou si tu veux, muet, aveugle - te voici : il va vivre et parler.

Tu l'aimeras, et d'un amour presque charnel. Chaque matin, avant de commencer ton entraînement, quand il est tendu et qu'il vibre, va lui donner un baiser. Demande-lui de te supporter, et qu'il t'accorde l'élégance et la nervosité du jarret. A la fin de la séance, salue-le, remercie-le. Alors qu'il est encore enroulé, la nuit, dans sa boîte, va le voir, caresse-le. Et pose, gentiment, ta joue contre la sienne.

Certains dompteurs utilisent la violence. Tu peux essayer de dompter ton fil. Méfie-toi. Le fil de fer, comme la panthère et comme, dit-on, le peuple, aime le sang. Apprivoise-le, plutôt."

Jean Genet, Le Funambule.




 Il y a trente ans, Jean Genet mourait dans une chambre d'hôtel du 13e arrondissement, à Paris, où il n'avait pas ses habitudes. La veille avait disparu Simone de Beauvoir. Le Libé de Genet reprenait une photo, je crois, où on les voyait à la terrasse d'un café, elle debout lui assis, souriants et proches. Je crois seulement, car j'avais à l'époque si bien découpé l'article pour le punaiser sur le mur de ma cuisine, à Jourdain, que si je retrouve aujourd'hui deux exemplaires du même journal, aucun ne compte plus l'article. A moins que cette photo ne vienne du dossier Beauvoir, auquel il me manque une page, également découpée ?

Le Libé du 16 avril, celui de Genet, annonce pour le soir même un concert de Nico au Rex Club à 20 heures, des bombardements contre Kadhafi qui manquent leur cible et un attentat raté contre le numéro deux du CNPF. Le Libé du jour de sa mort, où Beauvoir est en une, consacre une page à ce qui va devenir le projet de loi Devaquet - mais c'est Monory, ministre de l'Education Nationale depuis peu, qui en parle.  Je regarde le reste, tourne les pages : rien qui puisse me toucher, sinon.

Je me rappelle très bien, par contre, où je me trouvais quand j'ai appris la mort de Genet ce 15 avril, qui me l'a annoncée et ce que j'ai fait ensuite. Souvenirs d'une netteté totale, jusqu'à la couleur du mur, jusqu'au renfoncement où s'asseoir en attendant le cours, Sorbonne où je venais d'arriver, ne pensant qu'à Beauvoir. De cela, les journaux gardés ne portent aucune trace, bien sûr. Il faudrait peut-être l'écrire un jour, ce 15 avril, me dis-je. Pour sauver quelque chose. Savoir où conduirait ce fil.

lundi 25 février 2013

être lue















Longtemps, j'ai écrit sans nécessairement chercher à être publiée, ni même être lue. Pourtant, je voulais être écrivain, l'ai toujours voulu : j'emploie ce mot en italiques parce que c'est celui de mon enfance, au masculin. Les modèles étaient masculins (faisaient exception, quand j'avais sept, huit ans : Colette, Simone de Beauvoir et Marguerite Yourcenar, la première académicienne). Dans mon esprit, un écrivain lisait, écrivait, publiait, était lu et recommençait. Il n'effectuait pas de lectures en public, n'animait pas d'ateliers, c'est à peine si on connaissait son visage (je n'avais pas la télé). Il écrivait au fond d'un jardin, dans une cabane sans téléphone (Roald Dahl) ou dans sa baignoire en croquant des pommes (Agatha Christie). Il fumait beaucoup (Jacques Prévert), mourait jeune (Camus, Vian) ou avait de la barbe (Victor Hugo). Il commençait tôt (Rimbaud), tirait sur les autres à coups de pistolet (Verlaine), voyageait ou racontait que (Cendrars). Les auteurs vivants, absence de télé aidant, je n'en entendais guère parler, si ce n'est Beauvoir, que j'ai même vue (cinq secondes, hissée à bout de bras, je crois, dans une manif).

Mais ça existait, écrivain. Jacques Prévert en vivait.
Et un écrivain, quand il était publié, était lu.
(cela, dans mon esprit, toujours)















Il n'est pas toujours évident de basculer du côté de la publication, de se décider à faire lire, de s'exposer. Cela m'a pris du temps : longtemps j'ai pensé fragments (que j'aurais mis sur blogs, quand j'avais 18-20 ans, si Internet avait existé) et non livres. Un jour, j'ai pensé livre (c'était Fenêtres), ce qui m'a poussé à envoyer mon texte en lecture. 
Cependant, j'ai pensé livre comme ceci : un livre, pour moi, est un ensemble de livres constitués de fragments. La structure qui soutient chaque livre, en assemble les fragments, est en réalité la structure d'ensemble, celle qui unit les livres, tous les livres - et je ne sais, bien sûr, combien il y en a, puisque je suis vivante, espère n'avoir pas terminé... 
Qu'on ne s'y trompe pas : tout cela me paraît sans rapport avec le mot oeuvre  : je continue, en effet, à penser l'écrit sous forme de fragments. Par contre, avec le mot site, on peut réfléchir... Je vais néanmoins continuer à employer le mot livre, comme je dis écrivain. Simplement, le sens (dans mon esprit, une fois de plus) s'est, depuis l'enfance, déplacé.
(et si ça ne va pas, il n'y aura qu'à inventer un mot)
(désolée pour les italiques)














Aujourd'hui, quand je suis invitée à parler ce que je fais, à transmettre, expliquer (parce qu'un écrivain table ronde, performance, atelier), il arrive que ce soit par des gens qui n'ont pas lu mes livres. Pas encore, pas à ce moment-là, disons. C'est normal : je ne suis pas connue, les piles s'entassent, je le sais, ça ne me vexe pas, le livre est au-dessus, un autre prend la place, il y a une urgence... et puis, comme je viens de le dire, j'écris des trucs sans nom, des objets fragments, ça peut dérouter). N'empêche : il arrive parfois que je me demande ce que je fais là.

Mais il y a aussi ces moments de grâce où paraissent en ligne les articles de ceux qui m'ont lue - et avec quelle finesse, quelle attention, quelle acuité... Ainsi, à propos de Décor Lafayette, ces derniers jours me sont parvenus :

les déambulations de Piero Cohen Hadria à partir d'une place que nous partageons, celle de la bataille de Stalingrad. Comme Gilda Fiermonte dans son billet consacré à la vie moderne, il mentionne Simone Signoret
la magistrale analyse de Christophe Grossi (tout y est, ou presque, c'est pourquoi je vous conseille de lire son billet après mon livre, peut-être)
le tout aussi beau texte de Christine Jeanney, qui ne cesse de me faire cogiter depuis

Qui pourrait être mieux lue, je vous le demande ?
(personnellement, je ne vois pas)