vendredi
Avenue Jean Jaurès il y a ce balcon, rouge et seul au monde, sur une façade blanche. Un homme, une femme y passent-ils la tête, parfois ? Se penchent-ils ? Observent-ils les élèves du cours Florent situé tout à côté ? Ce sont des questions de rien, des questions de fenêtres, les mêmes que celles que recense mon livre écrit il y a une quinzaine d'années maintenant.
Le soir de la finale de l'Euro, je discute avec mon amie, la céramiste Christine Tchépiéga. De sa cour, on entend les rumeurs du match, les exclamations des gens en terrasse sans en deviner davantage. Elle me montre le premier des objets (sculptures ? comment nommer ce qu'elle est en train d'inventer ?) à l'intérieur desquels on pourra lire des extraits, très courts, de Fenêtres et de Décor Lafayette. Ce qu'elle me présente, qui n'est pas encore terminé, a déjà sa forme définitive, s'inspire du passage dans lequel un grand-père fantasmé, vivant dans un squat, boit son café au bol en regardant passer les métros de la ligne 2. On dirait une sorte de maison-salon, ou chambre, ou fenêtre, épurée et abstraite, intime. Tel quel, c'est déjà magnifique. Je suis très émue de cette connivence amicale et artistique. Ce que Christine crée à partir de ce que j'écris, je n'aurais jamais pu l'imaginer, me le représenter. Au moment où je le vois pourtant, l'évidence me traverse : je reconnais ce qui n'appartient qu'à elle. Le plancher de la pièce qu'elle invente, ce sont les rideaux du squat ; le bol résume tout entier le grand-père ; la forme du toit rappelle une phrase qui n'apparaît plus dans le texte...
C'est peu dire que j'ai hâte de découvrir la suite. Que va-t-elle faire de mon passage sur la violence de la ville, écrit en franchissant les voies de la gare du Nord ? Comment présentera-t-elle Mademoiselle Lapierre, la géante du Palais royal ?
Une des toiles de Christine, peinte à partir d'un texte que je lui avais confié il y a plus de vingt ans, fait apparaître dans un cadre un viaduc ou le pont d'une voie ferrée. Je l'ai sous les yeux au moment où j'écris, où je poste cette photo de mon carrefour, panneau d'aluminium croisé en revenant des Buttes Chaumont qui se déchire et le distord, l'amenuise, le réduit, l'inverse. Je regarde la photo, le tableau, à l'abri dans ma chambre. Je pense à mes questions de rien prolongées par bien autre chose : en bas de l'avenue ce matin, la police évacuait les centaines de migrants qui campaient depuis plusieurs jours entre Colonel Fabien et Jaurès. Une vidéo tourne sur les réseaux depuis tout à l'heure. On voit avec quel mépris, quelle violence un policier s'adresse à une jeune mère avec bébé. Le commentaire précise qu'un autre policier (si j'ai bien compris) a balancé trois coups de pied dans la poussette où le bébé se trouve.
Comment tenir encore ce journal, avec toute cette honte ?
La nuit, depuis deux nuits, entre trois et cinq je me réveille. Je regarde dans la pénombre ma bibliothèque.
Et pendant que j'écris, onglet ouvert sur les réseaux pour retrouver cette vidéo prise à Jaurès, c'est d'une fusillade à Munich qu'il s'agit maintenant. Plus question de terminer cet article. Tout est suspendu.
samedi
samedi
Je pense à ceux que j'aime.
Hier, je me disais en arrêtant d'écrire : j'aurais tellement voulu parler de L'aiR Nu encore dans cet article, de cette force que nous donnent depuis quelques jours ceux qui nous ont soutenus, ont permis le succès de notre appel. De ces plus de cent trente personnes avec nous.
Si je poste ces affiches déchirées ce n'est pas pour la déchirure, c'est parce qu'en les voyant dans le métro j'ai pensé à Pierre Ménard qui les collectionne et qui, sous son nom de Philippe Diaz, préside notre association tandis que Caroline, sa femme, est notre trésorière. C'est une façon de les embrasser, de se rappeler un verre pris en leur compagnie à rire, à discuter, à cogiter l'Ulule.
Si je poste ces deux couvertures de livres maintenant, nouveaux extraits de livres lus et mis en ligne dans la rubrique 36 secondes de L'aiR Nu, ce n'est pas pour faire de la pub mais pour dire que ces voix, J.B Pontalis parlant de l'importance des fenêtres, Annie Leclerc des bienfaits de l'eau, ce ne sont pas que des douceurs consolatrices, des questions de rien. Ce sont, quoi qu'on en dise, des formes de résistance.
Retournons-y. Retournons lire.
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