l'horloge de la gare de Chartres

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jeudi 2 janvier 2014

sans trop savoir (au Louvre, 1er épisode)















"Il suffirait pourtant d'appeler... « Excusez-moi, je vous dérange, c'est idiot, je ne sais pas ce que j'ai, je n'arrive pas à retrouver le nom de ce peintre italien de la Renaissance, vous ne connaissez que lui, il peignait des personnages faits de légumes, de fruits... » aussitôt les secours arriveraient, le trou serait obturé, tout se remettrait en place... Mais où serait-elle, cette satisfaction, cette jubilation... la preuve que les forces qui veillent ici sont toujours capables à elles seules, sans aide du dehors, de parvenir à refermer ce qui peut n'importe où, à n'importe quel moment s'ouvrir, laisser passer, se répandre ces exhalaisons... le souffle, l'haleine de l'absence irréparable, de la disparition..."

Nathalie Sarraute, Ici, Gallimard, 1995


Ici, lieu de la mémoire et de l'oubli, de l'inquiétude face à ce qui, pense-t-on, nous manque, nous fait défaut. Ici : lieu qui révèle ce qui échappe, cette image qu'on ne maîtrise pas, trous et écueils, tyrannie de la bonne réponse.
Ici : le musée, le Louvre, boîte à trésors mais également caisse de résonance (en 2009, quand j'étais au CentQuatre et qu'il était désert, je me souviens avoir cherché ce que j'appelais le point de timidité maximum : l'endroit le plus exposé ; celui où, surtout, on ne voudrait pas se trouver. Là où le corps s'empêtre. Là où le jugement d'autrui sur ce qu'on renvoie de soi-même sans moyen de contrôle est inévitable. Le point de convergence des regards. Une fois que je l'avais repéré, je m'asseyais par terre et j'attendais. En fait, il ne se passait rien. Mais comment le savoir sans avoir essayé ?).

Lors de mon premier atelier au Louvre, j'ai proposé aux participants un exercice tiré du texte de Nathalie Sarraute, dans lequel un homme ou une femme est obsédé(e) par l'idée de ne pas retrouver le nom du peintre que le lecteur, lui, identifie relativement vite, plus vite que lui (ou elle) en tout cas. Une peintre célèbre, très célèbre, aux saisons immédiatement reconnaissables...
Oui, d'accord, voilà : Arcimboldo. Tout le monde l'a en tête.
(tout le monde, vraiment ?)
Arcimboldo. Bien sûr. Mais une fois le nom prononcé, à brûle-pourpoint, qu'en dire ? Que sait-on, soi, sans le secours d'un guide, sans chercher sur le net ou dans un dictionnaire, de l'oeuvre d'un artiste en réalité ?

L'exercice : prolonger le monologue intérieur du personnage, désormais pris dans un groupe, forcé d'aller regarder les Saisons d'Arcimboldo dans la Grande galerie (ce que nous avons fait). Sa peur : devoir montrer son ignorance ; être ou se croire obligé(e) de produire du discours. D'où vient ce personnage dont le lecteur, de toute façon, ignore presque tout ? Va-t-il se sortir de cette situation ? Le cheminement vers le tableau, les obstacles rencontrés, la foule, le bruit, révéleront-ils quelque chose de ses mouvements intérieurs, pour reprendre la terminologie de Sarraute ?

Se diriger dans le musée, convoquer ses craintes, sa peur de s'y perdre, son affolement devant le fameux savoir : une expérience. Un risque, même minime, à prendre, pour identifier ce qui entrave. Pour enfin lâcher prise et commencer à regarder, peut-être.

*

"C'est juste un bref coup d'oeil pour contrôler... non, pas contrôler, ce n'est pas la peine... c'est juste pour le revoir un instant, il est si attrayant, si drôle... Mais que se passe-t-il ? il s'est évaporé... l'image revient docilement, mais il l'a désertée... il n'est plus inscrit nulle part en elle... les raisins, les fraises, les pommes, les épis de maïs sont bien là, mais lui, n'y est plus..."

*

Pour tout savoir de ces ateliers du Louvre que nous sommes (joie !) quatre à mener et qui cherchent à conjuguer écriture, peinture et numérique sans oublier le lieu lui-même (et quel lieu), le mieux est sans doute de se rendre sur le site de Pierre Ménard, Liminaire, qui en fait une présentation précise, puis d'aller lire les textes écrits par Cécile Portier et Joachim Séné
(et bientôt, un site regroupera nos propositions et les textes des participants : à suivre, donc...)

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