dimanche 27 avril 2014

Intérieurs (au Louvre, avec déplacement au Grand Palais, 4e épisode)




























Lors de cette quatrième séance (quatrième en ce qui me concerne car, je le rappelle, ces ateliers, dont voici le site, sont menés alternativement par Cécile Portier, Joachim Séné et Pierre Ménard et moi), nous avons quitté le Louvre pour le Grand palais, afin de profiter de la rétrospective consacrée au vidéaste Bill Viola. 



Ce ne sont pas à partir des oeuvres ci-dessus que nous avons travaillé, mais de Catherine's room : cinq vidéos placées côte à côte qui permettent de regarder, du début à la fin de la journée (mais aussi de l'année, de la vie...) la même femme dans une pièce unique dont quelques éléments diffèrent. Cette femme se livre lentement à un certain nombre d'activités (lire, écrire, coudre, allumer des bougies, faire du yoga...) tandis que les saisons passent, que la lumière décline. 
L'historien d'art Mickaël Pierson précise dans un article paru en mars 2014  : 
"Expérience de la durée, la vidéo est un moyen privilégié pour la mise en scène du temps qui passe. C’est toute une journée qui se déploie sur les cinq écrans qui constituent Catherine’s Room (2001). Du lever au coucher, on découvre les diverses activités qui occupent la sainte à mesure que la lumière croît puis décroît. Mais la lucarne qui ouvre sur le ciel dévoile une tout autre temporalité : ce sont les saisons qui défilent, une branche fleurissant avant de voir ses feuilles tomber jusqu’à disparaître dans la dernière image. D’une seule journée, Bill Viola nous conduit à une méditation sur l’existence. Les âges de la vie sont ainsi souvent présents dans les œuvres de l’artiste. Ce sont des êtres de tous âges et toutes origines qui sont paisiblement immergés dans The Dreamers (2013)."
Bill Viola, de son côté, explique : "Peut-être que le plus étonnant dans notre existence individuelle, c’est sa continuité. C’est un fil qui ne se coupe pas – nous vivons le même moment depuis la première minute de notre conception".

Faire le portrait de quelqu'un en décrivant son intérieur ; décrire quelqu'un, dont on ne perçoit que l'extérieur, de l'intérieur : est-ce possible ? Et comment ?
Pour le savoir, nous avons tenté l'expérience suivante :  écrire 5 fois 5 textes (25, donc, eh oui !) à partir des cinq vidéos. Tenter une description « objective » tout en parlant à la place de la femme, qui tiendrait une sorte de journal, en prenant pour points d'appui :
- le temps tel qu'il est représenté : temps qu'il fait, temps qui passe, saison, moment de la journée, etc
ce qui se trouve dans la pièce : meubles, objets, éclairages, etc. Noter les changements. Ajouter si l'on veut des choses qui ont peut-être été dans la pièce, qui pourraient y être.
- les mouvements de cette femme
- ce qui est dans le cadre, mais nous reste invisible (ce qu'elle lit, ce qu'elle écrit, les sons...)
ce qui n'est pas dans le cadre (le jardin, la maison d'à côté mais aussi l'enfance de cette femme, ou sa jeunesse, ceux qu'elle aime et qui sont absents, etc).

Pour cela, s'appuyer principalement sur Intérieur, de Thomas Clerc, tentative d'épuisement d'un appartement parisien (celui de l'auteur, en l'occurrence) mais aussi sur Avoir un corps, de Brigitte Giraud, roman dans lequel une femme d'aujourd'hui apparaît, se construit, se dessine à travers la vision que les autres et elle-même ont de son corps, de l'enfance à l'âge adulte.

*

Encore un mot : le grand intérêt de cette expérience d'ateliers au musée, c'est également de pouvoir l'exporter. C'est ainsi qu'au Blanc, durant mes séances au lycée, j'ai pu projeter aux élèves de seconde cette vidéo de Bill Viola qui se trouve au tout début de l'exposition, The reflecting pool, et leur proposer un exercice d'écriture sur l'instant suspendu. Mais voyez plutôt : 

vendredi 18 avril 2014

Ce que j'écris ne porte pas de nom


Des noms, il y en a plein. Des noms propres, des prénoms, des titres de films, des noms communs, des mots-clés qui forment un arbre.

Un arbre à racines, à branches, à feuilles, à tronc.

Mais pas seulement : un arbre à liens, aussi.

Des dizaines, des centaines, peut-être, de liens. Deux années principales (1975/2013) et plusieurs époques. Soixante-quinze parties. 230 pages environ et six feuilletons qui s'entrecroisent, dont deux sont déjà parus ici : Mes demoiselles et le terrain de jeu.

Décor Daguerre a un titre, mais pas de nom. Ce n'est, au sens large du terme, ni un roman, ni un poème, ni une autobiographie, ni un essai sur le cinéma ou la photographie, ni un livre sur l'enfance, ni un livre d'artiste, ni un livre sur Agnès Varda.
C'est un peu tout ça, ou autre chose. Il ne m'appartient pas de le dire. 

Un nom, ce serait mieux pour le vendre, sans doute. 

Mais qu'est-ce qu'on va faire de toi ? J'entends ça parfois.
Mais qu'est-ce que je vais faire de ce livre ?
Je ne sais pas. Il est fait, voilà. Il ne porte pas de nom, n'a pas de pitch, pas de progression narrative classique (enfin ça, ce serait encore à discuter). Le texte lui-même ressemble à un arbre. 

Et cela ressemble à nos vies, je trouve : l'arborescence est partout, dans nos tâches professionnelles, nos pensées, nos rêves, nos projets, nos relations... Plus d'ascenseur social depuis longtemps, et quoi de vraiment rectiligne, assuré de l'être, de le rester ?

La suite au prochain épisode, j'espère : après tout, il s'agit de feuilletons.

jeudi 17 avril 2014

Journal du Blanc #15



















Réveillée à 6h, je me réjouis, voilà une journée qui sera pleine (demain c'est voyage, à nouveau, et après-demain aussi) et je me demande par quoi commencer. 
Tout de suite, j'écris mon journal (pas celui-ci) (un rectangle rouge que l'on voit, je crois, en photo de temps à autres sur ce blog) sur la table de la cuisine. J'ai deux jours de retard et comme d'habitude j'écris mal, sans souci de la phrase (graphie illisible des fins de mots, répétitions, arrêts brusques...). Auparavant (ou après ? voilà que déjà  je ne sais plus), marché de long en large dans le logis pour m'expliquer à moi-même ce que j'avais voulu faire en écrivant Laisse venirqui va bientôt paraître.

(ce que j'ai découvert avoir fait, il y a deux ans, va-t-il s'évaporer si je ne l'inscris pas quelque part ? Ici, par exemple ? Mais ce blog doit-il être le dépositaire de ce qui risque, sinon, de s'enfuir ? Bref)

Malgré l'esprit embrumé (au réveil, toujours), ce qui domine pendant l'écriture du journal c'est l'impression de ne faire qu'une chose à la fois. Et c'est un soulagement : celui de se sentir centrée, concentrée, pendant quelques minutes, en recensant ce que j'ai fait de mon début de semaine - en particulier, la relecture active de Laisse venir, justement, conduite par le désir d'une plus grande précision, d'une plus grande netteté de ce qui est dit.

(dans ce texte, j'ai travaillé à partir du changement de pronom, du passage du il au tu, et cela m'occupe, beaucoup. Mais bref, à nouveau)

Ce sentiment de ne faire qu'une chose à la fois s'évapore dès le carnet fermé. Il est encore très tôt mais se bousculent déjà, de la cuisine à la chambre, pourtant calmes, silencieuses, presque vides, un nombre incalculable de choses. Elles envahissent. Elles bombardent, plutôt. Alors je recense (oui, encore), en rangeant les dizaines de livres qui s'y trouvent (ah tiens, les pièces ne sont pas vides, en réalité) :
- le début du livre de Hubert Reeves que j'ai commencé ce matin
- Les Yeux fermés les yeux ouverts de Virginie Gautier que j'ai repris à l'instant, trouvant que je n'étais pas assez concentrée la première fois - et c'est précisément parce que, tout en désirant entièrement le lire, le lire en entier ce matin, je me sens envahie par autre chose, que je commence à repérer cet envahissement
- ce billet de blog, auquel alors je commence à penser
- l'idée que je ferais mieux de l'écrire au lieu de le penser, sinon je ne m'en sortirai pas
- tous les livres du prix Chapitre nature que j'ai à lire et que j'ai classés sur mon lit (envie de le lire / pas envie / envie et pourrait me servir pour le mien / trop lourd à porter pour le ramener à Paris cette fois / oui mais quand même...)
- les mails qu'il faut que j'envoie
- l'organisation des jours à venir
- tout ce qui concerne ce que j'écris dans le journal rouge et pas ici
- l'inconfort d'écrire je ici, dans le journal du Blanc (encore une histoire de pronom... pourtant comment faire autrement, ces jours-ci ?)
- toutes les parenthèses qui ponctuent ce billet
- et, bien entendu, L'île ronde, texte dont j'ai depuis hier les dates de rendu.

(et d'autres choses encore, mais le temps d'y penser l'ordinateur bugue, la pensée s'enfuit, je colorie en attendant)

*

photo : Intérieur, de Thomas Clerc, pris à l'extérieur du logis

mercredi 16 avril 2014

Journal du Blanc #14






































Au fur et à mesure, tandis que je tente de reprendre le fil de mon histoire d'île (ronde) et que je me promène dans la ville haute (du Blanc), il semblerait que les formes trop prononcées s'estompent. Les angles sont de moins en moins nets, je pars me promener pour comprendre ce que j'écris et au lieu de ça je fredonne La Chanson de la plus haute tour en grimpant et en descendant. 





















Je trouve un panneau qui indique : Arbre des métiers de la ville haute, ce qui pour moi résonne au moins trois fois. 
Par delà un muret je découvre un jardin en surplomb dans lequel je n'ose pas entrer tandis que la porte est ouverte. C'est celui, je m'en rends compte ensuite, de la maison de la ville haute que voici :














Non loin des losanges en forme de pétales














La tête trop pleine, trop vide, les deux, légèreté ou non on ne sait, je ne collecte rien, redescends ville basse.

mardi 15 avril 2014

Journal du Blanc (pour Aito)

Ce matin, je voudrais écrire avant que la journée ne commence, sans savoir de quoi, au Blanc, elle sera faite. Ma pensée n'est pas ici aujourd'hui mais au sud, près de Nîmes.

D'une manière ou d'une autre, ce blog d'habitude est là pour "parler écriture". Je n'y raconte pas ma vie, contrairement à ce que le terme de journal pourrait laisser croire, ne l'utilise pas non plus pour faire passer des messages de façon directe. 
Cela m'est arrivé une fois seulement, il y a quelques années. Mon petit-cousin Aito, alors adolescent, avait fugué. Durant plusieurs jours, je me suis servie de Fenêtres pour regrouper les informations qui nous parvenaient (des articles du Midi Libre, en particulier), jusqu'à ce qu'il soit retrouvé. J'ai ensuite retiré les billets.
Il y a une semaine, à 21 ans, Aito a décidé de fuguer définitivement. C'est aujourd'hui son enterrement. Puisque je tiens ce journal du Blanc, l'écris chaque jour lorsque je suis ici, je ne peux passer sous silence ce qui fait pour moi ce mardi.



















Quelques fleurs du Blanc ce matin pour lui et Caroline, sa mère, pour ses grands-parents, son oncle, sa tante et toute ma famille.

lundi 14 avril 2014

Journal du Blanc #13















Cet épisode du journal va être très court, fatigue et début de migraine y sont pour quelque chose, je me dépêche. 
Tout de même, noter le soleil et l'arbre face au logis, passé du nu au vert. Se dire aussi que le palais de justice est devenu, pendant mon absence, une surface triangulaire : pourquoi donc ? 
Tout simplement parce qu'il manque encore un angle à mon rectangle, constitué du palais, d'Emmaüs, du cinéma et de... Que je m'en approche ou non, je crois qu'à la fin de la semaine je parlerai un peu de ce quatrième côté. 














En attendant, même mon bureau-rectangle me fait signe de penser triangle. 

*

Glanés pour cette journée : 
- la verrière (rectangles ? triangles ?) du café de l'Hôtel de la gare, à Châteauroux, où j'ai attendu le car pour le Blanc
- les camions-rectangles de la route qui mène à Super U (dont il faudra également que je dise un mot un de ces jours)
- Pâle septembre, la chanson de Camille réécoutée en marchant sur cette route (et qui se trouve dans Franck, livre dont on m'a reparlé il y a peu, voilà pourquoi)
- ces pensées qui traversent durant les insomnies : billets de blogs en retard, texte à relire, texte à écrire, dossiers à monter, mails auxquels répondre... 
Et bien d'autres choses encore.

vendredi 4 avril 2014

Un voyage, par Piero Cohen Hadria

Déjà, en passant au dessus des îles Baléares, j’ai cru que nous étions arrivées, mes yeux se sont empli de larmes. Je croyais retrouver l’air doux, les senteurs des orangers, mais nous étions encore loin d’Alger. Lorsque l’avion s’est posé, mes larmes avaient séché : j’étais accompagnée de ma plus jeune soeur D. (elle a près de vingt ans de moins que moi, une battante, moi j’ai soixante douze ans, l’année dernière notre mère est partie, et nous avons décidé d’entreprendre ce voyage, un peu comme pour nous souvenir d’elle, comme pour lui faire un signe, elle a toujours tant aimé ce pays sans y revenir jamais. Nous en avons parlé, nous sommes cinq sœurs, nous avons trois frères, mais nos trois autres sœurs ont décidé de ne pas venir. Si je suis l’aînée, mes trois autres sœurs ont presque mon âge, à présent, nous y avons vécu toutes nos jeunes années, et en soixante deux, quand nous sommes partis, ma sœur D. venait de naître). Nous avons senti le jasmin, le citron, le hénné et l’orgeat. Le soleil, la lumière et son ombre, les bleus des ciels et la finesse des nuages.
Nous sommes descendues dans un hôtel, non loin de Bab-el-Oued, là où nous vivions alors.
Le lendemain, nous avons été regarder. La maison était toujours là, la même, j’ai sonné, j’ai frappé, les gens étaient là aussi, des gens comme vous ou moi, j’ai dit : « vous savez, nous vivions là, avant les évènements, avec ma famille », mais ils ne nous connaissaient pas, et j’ai recommencé à pleurer. Cinquante ans, tu sais… Ma jeune sœur ne savait pas où se mettre, les gens nous ont fait entrer. J’ai revu ma chambre, le balcon qui donnait sur le petit jardin, les bougainvilliers, le petit amandier. J’ai revu la cuisine, l’auvent de verre au dessus des fourneaux, maintenant ils étaient neufs, maintenant, les gens ne sont plus les mêmes. L’un d’eux m’a dit : « il ne faut pas pleurer, ici vous êtes chez vous… ».
C’est de cette gentillesse dont je me souvenais. Il faisait une chaleur d’acier, et je reconnaissais aussi cette lourdeur pesante et forte des débuts d’après midi. Nous avons été nous doucher. Nous avons mangé, puis nous nous sommes couchées. Encore j’ai pleuré. J’ai l’impression, à présent que je te raconte ce voyage, mon enfant, tu sais, j’ai l’impression de n’avoir pas cessé de pleurer durant ces trois jours. Nous nous sommes promenées nous avons été voir le lycée, les magasins, le boulevard du Front de mer, la place Abdelkader, nous avons pris un café au lait, et marché longtemps, jusqu'à la grande poste, jusqu'à la grande Mosquée, nous sommes revenues et mes larmes ne cessaient pas.

C’était avril.


Le dernier jour, nous partions le lendemain, à neuf heures, le dernier jour, nous sommes retournées dans notre quartier, là j’ai rencontré nos anciens voisins. Je ne me souvenais plus de leur nom, eux m’ont reconnue et comme nous avions marché encore, pris le métro, remarché, ils nous ont invitées à nous désaltérer chez eux, nous avions soif et ils vivaient toujours dans la même maison, à trois numéros de la nôtre. Nous sommes entrées, il faisait doux, j’avais les larmes aux yeux, je n’étais pas amie avec eux, à l’époque mais je les connaissais, je me souvenais, des choses me revenaient. Nous avons raconté la raison de notre venue, notre pensée pour notre mère, des choses qui nous venaient et que je ne saurais plus te dire maintenant, tu sais, chéri, les grands-mères oublient... L’homme est revenu avec deux petits verres d’eau, nous avions si soif, j’ai cru à quelque chose comme une blague, mais il nous a dit : «  voilà, zèm zèm… » comme si nous devions comprendre ce que ça voulait dire. Je n’ai pas compris tout de suite, mais j’ai bu, l’eau était fraîche. Ma sœur aussi a bu, nous les avons remerciés et nous sommes parties. Nous avons pris un fanta dans un café, il était sept heures du soir, sur mes cheveux, je n'avais pas de voile, D. non plus, puis nous avons mangé à l'hôtel.
A l’aéroport, le lendemain, nous attendions dans la foule des gens qui embarquaient, les femmes et les hommes en blanc, les babouches et les robes, il faisait chaud, trop chaud comme d’habitude. Mes yeux étaient toujours mouillés, ma sœur a parlé avec un des hommes qui étaient là, lui avait reconnu que nous étions françaises, et la conversation a roulé sur ce « zèm zèm » et l’homme a haussé les sourcils, hoché la tête, remis son fez. « L’eau de La Mecque, oui, zam zam… » a-t-il dit. Dans l’avion qui nous ramenait à Paris, je me suis endormie.

*

Echanger des textes et photos avec Piero dans le cadre des vases communicants est presque devenu un rituel. Cela faisait un moment que je n'avais pas participé, cependant, et je suis très contente d'y revenir grâce à sa proposition, issue d'une photo de porte que j'avais publié sur Facebook et que ni lui ni moi n'avons choisi de montrer. 
Ici, donc, grâce à lui, une femme voyage, tandis que là-bas, chez lui (c'est le hasard, nous ne nous sommes pas concertés), c'est d'un homme enfermé qu'il s'agit.
Merci à Brigitte Celerier qui recense chaque mois les échanges des vases co et donne ensuite envie de les lire...

mardi 1 avril 2014

Epuiser les trésors (au Louvre, 3e épisode)






























Lors de la troisième séance d'atelier d'écriture au Louvre, j'ai pensé qu'il était temps, après s'être débarrassé de la peur d'avoir, ou non, quelque chose à dire d'une oeuvre en public, puis établi un vrai contact avec l'une d'entre elles, de profiter un peu des lieux. C'est ainsi que nous avons travaillé sur la notion de trésor, cherchant, même, à en épuiser le contenu. 
Je suis partie du trésor de Boscoreale (ci-dessus), dont une description minutieuse, établie au début du XXe siècle par un conservateur, est disponible gratuitement en ligne. Ainsi, apprend-on, à propos d'une coupe ronde (ou phiale) présente dans le trésor, que : 


"L'emblema offre une personnification de l'Afrique, figure en buste d'un relief très accentué et d'un effet saisissant. Elle est représentée comme une femme plantureuse, vue à mi-corps ; ses traits, sans être délicats, respirent la jeunesse, la force et la beauté. Le menton est proéminent ; les lèvres sont larges et hermétiquement closes ; le nez est légèrement arqué ; les yeux grands et ouverts1, au regard ferme, sont ceux d'une femme sûre d'elle-même et aux volontés de laquelle rien ne saurait s'opposer. Le front est à moitié caché par des cheveux abondants et bouclés qui ne tombent pas plus bas que le cou, particularité qui donne l'impression d'une force virile. Sur la tête, elle porte la dépouille d'un éléphant dont la trompe et les défenses s'élèvent majestueusement au-dessus du front : l'artiste a eu soin de rejeter en arrière les larges oreilles de l'animal, de façon à ne pas alourdir la figure centrale et à laisser ainsi au cou tout son dégagement. Les oreilles de la femme, en partie cachées sous la chevelure, sont percées de petits trous auxquels étaient suspendus des boucles mobiles, sans doute en or et finement travaillées2. Le cou est large et bien planté sur la poitrine.
1Les pupilles sont indiquées à la pointe.

2Ces boucles d'oreille n'ont pas été retrouvées."

(ainsi apprend-on qu'au début du XXe siècle, un très sérieux conservateur du Louvre décrivait des boucles d'oreilles inexistantes !)

Ce texte nous étant apparu assez fascinant, nous avons voulu voir la coupe en question. Hélas, elle était, si je me souviens bien, en déplacement, prêtée pour une exposition.
Le trésor lui-même nous a un peu déçus, il faut le dire (nous avions fantasmé). Par contre, en levant la tête, dans la salle...














... extension du domaine par le ciel de Matisse.
Et il y avait encore, ce jour-là, à quelques pas








































les living rooms de Robert Wilson, avec lit pour géant, oloé suspendu, collections d'objets à la André Breton.
Nous avons à notre tour tenté d'étendre le champ, partant pour cela du texte en expansion constante de Julien Maret, Ameublement, paru en début d'année et que j'aime décidément utiliser en atelier (j'en reparlerai). Ou comment, à l'aide de simples points-virgules, faire croître ses possessions...



















(hop)
(ces deux-là sont des copies que l'on trouve dans la salle où nous allions écrire)
Pour finir, j'ai proposé aux participants de lire, après l'atelier, un texte de Mona Chollet paru sur Périphéries dans lequel elle tente de comprendre ce qui se passe en elle depuis qu'elle a été avalée par les réseaux sociaux et en quoi l'un d'entre eux, Pinterest, la sauve paradoxalement de cet engloutissement en lui permettant de collecter un nombre infini d'images sans qu'elle se sente envahie. Là, ce ne sont plus forcément des objets qu'on amasse :

"On y recherche des images qu'on peut habiter, dans lesquelles on peut se projeter, devant lesquelles on peut rêvasser. Les photos d'intérieurs, d'architecture, de maisons, de cabanes dans les arbres et d'abris en tout genre remportent un grand succès : les tableaux consacrés à ces thèmes font partie de ceux qu'on retrouve chez pratiquement tout le monde ; mais la plupart des images, quel que soit le sujet représenté, semblent choisies parce qu'elles offrent un abri, même si ce n'est pas au sens littéral. Je rêve des textes q'une exploration de l'Internet des images aurait pu inspirer à Gaston Bachelard."

Et l'on en vient ainsi à la notion de lieu, infinie, qui m'est chère précisément parce qu'elle exclut, en l'incluant, la possession, l'appropriation.