dimanche 3 mai 2015

chambre(s) changeante(s)

"Parce que ma chambre n'est rien d'autre que l'espace qui dépend de moi, j'en change autant que je le désire. J'enlève mes posters et je les épingle ailleurs. Je ne suis pas liée à ces murs. J'emménage dans un nouvel immeuble, un autre quartier, je visite Paris. Et, chaque fois, la chambre commence avec moi.
Cette mobilité m'exalte. Je pars pour partir. Je frôle la liberté d'indifférence. Sa rageuse absurdité. Mais aucune chambre ne ressemble exactement à une autre. Leurs particularités justifient l'excitation d'un lieu inconnu. Ce sont des détails d'orientation, des variations dans la forme, la dimension, la hauteur des fenêtres (j'apprends alors qu'une ouverture sur le dehors trop élevée pour qu'une personne puisse y accéder s'appelle un "jour de souffrance"), des nuances dans la couleur du papier peint, des écarts dans le degré d'inclination du plafond (il y a des chambres mansardées où l'on ne tient pas debout), des sols de plancher ou, rouge vif, carrelés de tommettes, des aberrations techniques tel ce robinet qui, lorsque je le ferme, émet le bruit d'une sonnerie de téléphone, comme pour me rappeler gentiment que je l'ai toujours pas...
Mais ce ne sont pas des singularités d'atmosphère, des colorations d'âme. Entrant dans ces chambres qui n'ont jamais offert que des refuges passagers (même si des vies entières s'y sont déroulées), on n'entre chez personne. Elles sont le contraire des maisons, de leur enracinement dans le passé des générations, de leur complicité avec les fantômes, et de tous les aveux désespérés, toutes les folies dont leurs épais murs détiennent le secret."

Chantal Thomas, Comment supporter sa liberté, Manuels Payot, 1998, pages 74-75

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