lundi 18 mars 2013

Journal de la chambre verte #2




















Je ne suis pas dans la chambre verte mais dans un TGV Nantes Paris. Des images de lac, de façades Art Nouveau, de tableaux, de vitrines, rue Daguerre et Beaubourg et Bruxelles et Grand Lieu, château, arbres en fleurs, neige, verglas et soldes peuplent cet écran où j'écris. Le train freine, épingle à la vitre les églises, forêts que le wagon délaisse. Dans cette lenteur de quelques minutes, une demeure de zinc, son miroitement, de courtes hachures devenues brins de paille.

Je voudrais raconter la lecture au centre Jean Dame le 6 mars dernier, revenir au très près (le micro, la scène, Jean-Marc à ma droite) mais cette vie de nomade et le sentiment de si grand présent qu'elle procure m'en détournent. Il y a le carnet qui sert de journal. Les livres offerts. Celui que je lis (Fenêtres, de Pontalis, un cadeau de plus). Les champs inondés. Une nuit passée dans une chambre rose - oui, tiens, les couleurs de chambres, le voilà peut-être, le sujet...

Une chambre à soi, une pièce à soi, je pense à Juliette Mezenc que j'invite la semaine prochaine.
Au rideau baissé par le voisin de derrière (trop de soleil, trouve-t-il) dans le TGV.
A cette tension, lecture La Fayette, aux conseils de Jean-Marc pour attaquer fort.
A la robe cerise que j'ai portée là pour la première fois, don des bénévoles de Cerise, justement, tandis que nous étions, au Café Reflets, à trier des jeans, des vêtements d'hiver, des manteaux immenses.
Je ne vais pas assez à Cerise, pour l'instant, mais la chambre verte m'entête.
Tout travaille, insensiblement.

Alors, cette lecture ? (nous voilà au Mans, à l'ombre du quai, le voisin relève le store) Comme à Marseille, où nous l'avions déjà tentée, j'ai demandé d'une voix trop faible à ce qu'elle soit enregistrée. La phrase s'est perdue dans la conversation. Puis j'ai oublié. Il n'y a pas d'enregistrement et je crois que ce n'est pas un hasard
(mesdames, messieurs, cet arrêt n'est pas prévu, veuillez ne pas tenter l'ouverture des portes)
je ne dois pas vouloir que cette lecture s'inscrive, se grave quelque part.
(mesdames et messieurs notre TGV va repartir dans quel-ques-ins-tants)

Robe cerise au-dessus du genou parce que, si j'écris, et lis, en public Corps contre lequel lutter pour ne pas le cacher toujours, et même s'il s'agit de celui de n'importe quelle femme, ce n'est pas le moment d'arriver en jean, en vêtement d'hiver, en manteau immense.
Robe cerise, pupitre, boite à musique avec laquelle Jean-Marc Montera joue de la guitare. Devant, le noir complet : au théâtre Jean Dame, on ne voit pas le public.

Cette lecture est un travail de nerfs, d'attention, quarante-cinq minutes de bifurcations sans quitter la route. Et c'est un duo, vrai duo : sans lui, rien à faire, on ne m'y verrait pas. Il me porte, me tient, éloigne d'un geste l'anxiété qui minait les jours précédents, la peur que quelque chose, à l'intérieur, s'écroule – ce qui arrive ensuite, systématiquement.

Après il faut reconstruire.
Ainsi apparaissent les chambres aux couleurs multiples.

*

photo : avant lecture, répéter le texte sous le ciel de Paris
pour entendre la lecture audio du texte ci-dessus et voir la photo correspondant à l'après-lecture, il suffit de se rendre sur remue.net.

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