Note liminaire : les Vases communicants sont souvent un moyen de mettre à l'épreuve un nouveau projet, d’essayer des choses inédites. Ce texte est un avant-goût d’une cartographie locale que j’aimerais développer par la suite, si jamais j’y parviens. Il est très redevable à son hôte qui par son projet « cartes postales » (et autres oloés, dirais-je), m’a permis des traverses un peu différentes — ce texte en tête lors de déplacements professionnels. BV
vendredi 2 septembre 2011
Espaces limites, par Benoît Vincent
Note liminaire : les Vases communicants sont souvent un moyen de mettre à l'épreuve un nouveau projet, d’essayer des choses inédites. Ce texte est un avant-goût d’une cartographie locale que j’aimerais développer par la suite, si jamais j’y parviens. Il est très redevable à son hôte qui par son projet « cartes postales » (et autres oloés, dirais-je), m’a permis des traverses un peu différentes — ce texte en tête lors de déplacements professionnels. BV
Espaces limites
Quand je t’appelle mon amour, mon amour,
est-ce toi que j’appelle, ou mon amour ?
JD, La carte postale
est-ce toi que j’appelle, ou mon amour ?
JD, La carte postale
0. Les cartes, je les ai achetées. Dans chacun des villages, dans la fin d’été, alors que se traînent les derniers badauds. Mais pour tout un tas de raisons, je ne les ai pas envoyées. Je t’en ai écrit quelques-unes, pourtant. Mais tout un tas de raisons.
Une carte postale s’écrit-elle ?
Je t’en ai posté une. Peut-être. Ne sais plus.
Mais les ai-je écrites ? Les ai-je même achetées ? Ou bien le désir de ? Ou bien le rêve de ?
Je quitte le village par la porte qui est sur la carte postale. Je prends la voiture et, pour tout un tas de raisons, je file.
#untasderaisonsjefile
Direction sud est, je dois faire ma tournée, comme le facteur — à l’envers toutefois. Moi je poste. Je roule, j’écris, je poste.
Je mets des noms, c’est pour dire. C’est tout. Les images, aussi, pas les bonnes. C’est pour dire. On s’en fout des noms. On s’en fout des images. Ce sont des cartes postales.
1. ALEYRAC
Tout commence à l’écart, à l’écart de la ville, du village même, et à l’écart de la route. A l’écart du monde. Se mettre à l’écart, choisir la solitude, choisir le silence, comme les moines voisins, mais tout à fait solitaire-tout à fait profane.
L’église — le prieuré — n’a plus de toit, comme si la terreur locale en avait implosé toute la grâce. Il y a une fontaine miraculeuse, sous le chœur. Quelqu’un y dispose des bougies, des tissus.
Monter dans la garrigue, sur les pelouses ventées, sans même aller haut, sans même aller loin, les gens ne s’aventurent plus, alors.
#cequonvoudraitcestimpossible
Parfois peur, de glisser, de tomber dans ce ravin, ou sur la harde, mais non, ça n’arrive pas, et quand même, ce serait inutile chagrin. Pas de géolocalisation non plus, inutile, le portable ne passe pas. On peut tomber tranquille.
Ce coin, cet écart, je l’ai même vu en-dehors de la carte géographique : à cet endroit, elle délirait, décrivait tout autre chose, son auteur en avait oublié une ruine, deux falaises, trois rus. Elle dé-crivait, désécrivait.
Cet endroit à l’écart : à l’écart de la carte, un trou en elle ; un double-fond plutôt.
Il y a tant de mondes qu’on ne se figure pas. Il n’y pas de carte postale pour ce lieu d’écart.
#çaleau
2. CLANSAYES
A #Clansayes, on se perd, on le dit, on se perd sur le plateau, qui est plus grand qu’il n’y paraît — et plus haut aussi. On ne trouve pas un plateau dans la plaine et pourtant on devra négocier. Plusieurs routes y mènent, certaines, très sûres, balisées, le traversent de long en large. Mais la plus grande partie est inaccessible aux véhicules.
Il est des bories dispersées un peu partout sur le #Rouvergue, assez secrètes, souvent ruinées.
#onsenfoutdesnoms
J’écris une carte dans l’une de celles que je connais. Mais mon texte est plus grand que la carte, et le résultat n’est pas satisfaisant. Pour peu le quiproquo. Le gravier les mousses les feuilles mortes du chêne qui passe ne peuvent recevoir l’écriture. Je fais de grands gestes mais vains. Il n’y pas d’écrit ici.
Aussi j’aligne des cailloux.
3. SAINT-PAUL-TROIS-CHÂTEAUX
Beauté mosaïque, beauté capitale d’une cité (des humains, des humains) dont tout l’alentour est défiguré. Les pierres du dedans tiennent bon. Personne ne se doute, avachi dessus, que le mur du stade est d’époque romaine.
Là j’ai écrit sur les pierres, tâcheron. La même marque répétée dans tout ce sud sans mer. Inlassablement répétée. Juste en face la cathédrale d’où j’extrais le texte, ce mur d’écritures, ce roman imagé, cette série dessinée à même la pierre, il y a la poste.
Le guichet refuse ma pierre sigillée — il y a pourtant quotient de timbres. Nos époques escriment.
#moijeposte
Je répète, je dis, je répète.
4. BRANTES
#Ventoux pleine gueule, on ne peut mieux. #Ventoux immense, imposant, version nord, falaises effrayantes, masse, masse.
#memepashautmemepasloin
Au petit matin, sauf petite voix anglaise, rien, ni personne. Tout est pierre, on a voulu bâtir plus haut que l’Autre. On s’est vite rassis. Ou jeté au #Toulourenc, qui par ailleurs est à sec.
Comme si l’étiage était chemin pour écrire dans ce minéral.
Le est. D’ailleurs. Comment tu écris ça, l’eau, sur la carte ?
5. FERRASSIERES
Il faut passer deux cols pour atteindre, & villages de lavandes, sur l’élégant #Albion.
Hors-cadre, et en dehors-de la carte ; les cols croisent, isolent la commune plus méridionale de la région, on le dit. #Montfroc, à côté, aussi ou pour se rendre, il faut encore passer dans #Basses-Alpes devenues d’#Haute-Provence #commequoilesnomhein. Il faut passer par les #Omergues. (Juste pour le nom.)
Hors-cadre : ne tient pas en un plan, ne tient pas en réseaux de routes et autres, et ne tient en aucune carte.
J’envoie des cartes vides, les mots sont autour.
Le pays que je visite & le pays que j’habite, = tout l’autour de la carte.
#justepourlenom
Il n’y a pas de carte pour mon endroit.
(De toute façon certes pas de poste ici.)
(Par hasard discuté avec le facteur intérimaire, me dit Deux fois le col/tournée, plus le reste, la tournée est plus longue que le jour & le courrier s’amoncelle.)
6. ROCHEFOURCHAT
Il y a plus de noms sur le monument aux morts que dans le village. C’est quoi un village où plus de morts que de vivants ?
Quelles sont les voix les plus fortes ? Quelle fête du village ? Comment ? Qui ? Mexicaine ? Fantomatique ?
C’est quoi un village qui compte un habitant ? Densité #Rochefourchat : 0,8 h/km2.
Un lieu, bâti, une étendue, terraquée, un territoire, historié, mais vidé, fantôme. Un dehors d’homme, un pur dehors.
Est-ce qu’un enfant traverse ta carte postale ? Est-ce qu’un homme y passe, y apparaît quelquefois ?
#legravierlesmousseslesfeuillesmortes
Dans la mesure du possible, nous essayons d'évacuer l’humain de nos photographies ; nous pensons prendre la nature, le paysage. Nous ne ramassons que de l’humain pourtant.
Et la nature le paysage oui : les prenons, violentons.
Ce qu’on voudrait, ce qu’on aurait voulu, c’est démesure, c’est impossible.
Ce qu’on voudrait c’est impossible.
Seule la carte est impossible. La carte possible est attendue. Seul l’inattendu viendra.
Non, tu ne t’attends pas à une carte. Tu ne t’attends à aucun courrier. Abandonne d’attendre. Tu ne t’attends pas à une carte venant de #Rochefourchat. Tu ne connais pas l’habitant.
7. MEVOUILLON
J’écris depuis #Mévouillon ; sans crayon, sans carte, sans timbre, sans poste.
J’écris depuis #Mévouillon, que je marche, que je monte au fort. Il n’y a plus de fort. #RicheLieu l’a abattu, l’a rasé, entièrement, pierre après pierre. Il ne reste que l’empreinte du fort. Je marche, j’écris, j’empreinte.
Ecrire c’est l’empreinte. #écrirecestlempreinte
•••
Il n’y a pas deux cartes pareilles, c’est ça. Peut pas y en avoir deux pareilles.
La carte postale : c’est un lieu du temps et un temps au lieu. C’est de la géoréférence, comme tout le courrier.
Pourquoi je suis parti, ai écrit, ai posté tout ça ? Pour tout un tas de raisons.
La carte, c’est la raison. La raison que. La raison pour. Tout un tas de raisons c’est tout un tas de cartes, même pas-postées même pas-écrites.
#toutautourdelacarte
© BV | Les six premières photos sont de Hervé Sentucq, du site Panoram’Art | La dernière est extraite du blogue Photos des Baronnies. Elles ne sont pas contractuelles : si Ventoux, Ferrassières et Mévouillon sont à leur place, par contre sur le chapitre Clansayes c'est une photo de Théus (05) ; au lieu de St Paul c'est Montbrun-les-Bains ; pour Rochefourchat, marche de mon pays, c'est la vallée de l'Ennuye.
Une carte postale s’écrit-elle ?
Je t’en ai posté une. Peut-être. Ne sais plus.
Mais les ai-je écrites ? Les ai-je même achetées ? Ou bien le désir de ? Ou bien le rêve de ?
Je quitte le village par la porte qui est sur la carte postale. Je prends la voiture et, pour tout un tas de raisons, je file.
#untasderaisonsjefile
Direction sud est, je dois faire ma tournée, comme le facteur — à l’envers toutefois. Moi je poste. Je roule, j’écris, je poste.
Je mets des noms, c’est pour dire. C’est tout. Les images, aussi, pas les bonnes. C’est pour dire. On s’en fout des noms. On s’en fout des images. Ce sont des cartes postales.
1. ALEYRAC
Tout commence à l’écart, à l’écart de la ville, du village même, et à l’écart de la route. A l’écart du monde. Se mettre à l’écart, choisir la solitude, choisir le silence, comme les moines voisins, mais tout à fait solitaire-tout à fait profane.
L’église — le prieuré — n’a plus de toit, comme si la terreur locale en avait implosé toute la grâce. Il y a une fontaine miraculeuse, sous le chœur. Quelqu’un y dispose des bougies, des tissus.
Monter dans la garrigue, sur les pelouses ventées, sans même aller haut, sans même aller loin, les gens ne s’aventurent plus, alors.
#cequonvoudraitcestimpossible
Parfois peur, de glisser, de tomber dans ce ravin, ou sur la harde, mais non, ça n’arrive pas, et quand même, ce serait inutile chagrin. Pas de géolocalisation non plus, inutile, le portable ne passe pas. On peut tomber tranquille.
Ce coin, cet écart, je l’ai même vu en-dehors de la carte géographique : à cet endroit, elle délirait, décrivait tout autre chose, son auteur en avait oublié une ruine, deux falaises, trois rus. Elle dé-crivait, désécrivait.
Cet endroit à l’écart : à l’écart de la carte, un trou en elle ; un double-fond plutôt.
Il y a tant de mondes qu’on ne se figure pas. Il n’y pas de carte postale pour ce lieu d’écart.
#çaleau
2. CLANSAYES
A #Clansayes, on se perd, on le dit, on se perd sur le plateau, qui est plus grand qu’il n’y paraît — et plus haut aussi. On ne trouve pas un plateau dans la plaine et pourtant on devra négocier. Plusieurs routes y mènent, certaines, très sûres, balisées, le traversent de long en large. Mais la plus grande partie est inaccessible aux véhicules.
Il est des bories dispersées un peu partout sur le #Rouvergue, assez secrètes, souvent ruinées.
#onsenfoutdesnoms
J’écris une carte dans l’une de celles que je connais. Mais mon texte est plus grand que la carte, et le résultat n’est pas satisfaisant. Pour peu le quiproquo. Le gravier les mousses les feuilles mortes du chêne qui passe ne peuvent recevoir l’écriture. Je fais de grands gestes mais vains. Il n’y pas d’écrit ici.
Aussi j’aligne des cailloux.
3. SAINT-PAUL-TROIS-CHÂTEAUX
Beauté mosaïque, beauté capitale d’une cité (des humains, des humains) dont tout l’alentour est défiguré. Les pierres du dedans tiennent bon. Personne ne se doute, avachi dessus, que le mur du stade est d’époque romaine.
Là j’ai écrit sur les pierres, tâcheron. La même marque répétée dans tout ce sud sans mer. Inlassablement répétée. Juste en face la cathédrale d’où j’extrais le texte, ce mur d’écritures, ce roman imagé, cette série dessinée à même la pierre, il y a la poste.
Le guichet refuse ma pierre sigillée — il y a pourtant quotient de timbres. Nos époques escriment.
#moijeposte
Je répète, je dis, je répète.
4. BRANTES
#Ventoux pleine gueule, on ne peut mieux. #Ventoux immense, imposant, version nord, falaises effrayantes, masse, masse.
#memepashautmemepasloin
Au petit matin, sauf petite voix anglaise, rien, ni personne. Tout est pierre, on a voulu bâtir plus haut que l’Autre. On s’est vite rassis. Ou jeté au #Toulourenc, qui par ailleurs est à sec.
Comme si l’étiage était chemin pour écrire dans ce minéral.
Le est. D’ailleurs. Comment tu écris ça, l’eau, sur la carte ?
5. FERRASSIERES
Il faut passer deux cols pour atteindre, & villages de lavandes, sur l’élégant #Albion.
Hors-cadre, et en dehors-de la carte ; les cols croisent, isolent la commune plus méridionale de la région, on le dit. #Montfroc, à côté, aussi ou pour se rendre, il faut encore passer dans #Basses-Alpes devenues d’#Haute-Provence #commequoilesnomhein. Il faut passer par les #Omergues. (Juste pour le nom.)
Hors-cadre : ne tient pas en un plan, ne tient pas en réseaux de routes et autres, et ne tient en aucune carte.
J’envoie des cartes vides, les mots sont autour.
Le pays que je visite & le pays que j’habite, = tout l’autour de la carte.
#justepourlenom
Il n’y a pas de carte pour mon endroit.
(De toute façon certes pas de poste ici.)
(Par hasard discuté avec le facteur intérimaire, me dit Deux fois le col/tournée, plus le reste, la tournée est plus longue que le jour & le courrier s’amoncelle.)
6. ROCHEFOURCHAT
Il y a plus de noms sur le monument aux morts que dans le village. C’est quoi un village où plus de morts que de vivants ?
Quelles sont les voix les plus fortes ? Quelle fête du village ? Comment ? Qui ? Mexicaine ? Fantomatique ?
C’est quoi un village qui compte un habitant ? Densité #Rochefourchat : 0,8 h/km2.
Un lieu, bâti, une étendue, terraquée, un territoire, historié, mais vidé, fantôme. Un dehors d’homme, un pur dehors.
Est-ce qu’un enfant traverse ta carte postale ? Est-ce qu’un homme y passe, y apparaît quelquefois ?
#legravierlesmousseslesfeuillesmortes
Dans la mesure du possible, nous essayons d'évacuer l’humain de nos photographies ; nous pensons prendre la nature, le paysage. Nous ne ramassons que de l’humain pourtant.
Et la nature le paysage oui : les prenons, violentons.
Ce qu’on voudrait, ce qu’on aurait voulu, c’est démesure, c’est impossible.
Ce qu’on voudrait c’est impossible.
Seule la carte est impossible. La carte possible est attendue. Seul l’inattendu viendra.
Non, tu ne t’attends pas à une carte. Tu ne t’attends à aucun courrier. Abandonne d’attendre. Tu ne t’attends pas à une carte venant de #Rochefourchat. Tu ne connais pas l’habitant.
7. MEVOUILLON
J’écris depuis #Mévouillon ; sans crayon, sans carte, sans timbre, sans poste.
J’écris depuis #Mévouillon, que je marche, que je monte au fort. Il n’y a plus de fort. #RicheLieu l’a abattu, l’a rasé, entièrement, pierre après pierre. Il ne reste que l’empreinte du fort. Je marche, j’écris, j’empreinte.
Ecrire c’est l’empreinte. #écrirecestlempreinte
•••
Il n’y a pas deux cartes pareilles, c’est ça. Peut pas y en avoir deux pareilles.
La carte postale : c’est un lieu du temps et un temps au lieu. C’est de la géoréférence, comme tout le courrier.
Pourquoi je suis parti, ai écrit, ai posté tout ça ? Pour tout un tas de raisons.
La carte, c’est la raison. La raison que. La raison pour. Tout un tas de raisons c’est tout un tas de cartes, même pas-postées même pas-écrites.
#toutautourdelacarte
© BV | Les six premières photos sont de Hervé Sentucq, du site Panoram’Art | La dernière est extraite du blogue Photos des Baronnies. Elles ne sont pas contractuelles : si Ventoux, Ferrassières et Mévouillon sont à leur place, par contre sur le chapitre Clansayes c'est une photo de Théus (05) ; au lieu de St Paul c'est Montbrun-les-Bains ; pour Rochefourchat, marche de mon pays, c'est la vallée de l'Ennuye.
Merci à Benoît Vincent qui m'accueille sur son blogue Ambo(i)lati, où il est également question de cartes postales.
Les autres "vases" sont répertoriés sur ce site grâce à Brigitte Célerier.
j'ai rêvé que j'étais là quelque part dans chaque carte postale
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