jeudi 28 avril 2011

Paris par en-dessous

"A Paris, il vivait sous terre. Le métro, matin et soir, et dix heures dans son fournil. Ca a duré trente ans. Trente ans à aller de cave en cave par des galeries souterraines qui ne le menaient jamais qu'à d'autres caves et à d'autres galeries. Irascible et borné, il s'engueulait tous les six mois avec son patron, et on le foutait à la porte. Il retrouvait un autre patron, une autre cave, des stations de métro. Ca recommençait, le même va-et-vient nocturne. Il n'a probablement jamais su ce qu'était cette ville qu'il a parcourue pendant trente ans par en-dessous, dans ses régions inférieures, dans les épaisseurs où s'enracinent les maisons, les arbres des parcs, le socle des statues. Avec au-dessus de lui cette croûte de trottoirs, de pavés, de pierre, de béton. Ce remuement de pieds toujours au-dessus de sa tête. Cette couche de bruits et de lumières. Tout ce qu'il en apercevait, c'est ce qu'on découvre par l'ouverture d'un fournil : des jambes, le bas des robes. Ca doit donner une image curieuse de l'existence. Un monde sans visages. Et le plus étrange, c'est qu'il aimait cette existence."

Georges Hyvernaud, Lettre anonyme, éditions Le Dilettante, page 149

à découvrir à Montreuil, samedi prochain à 16h, bibliothèque Robert Desnos (je prends racine, oui)

mercredi 27 avril 2011

En Sorbonne



Ce sera au centre Panthéon, non sur la place de. N'empêche : me retrouver citée en Sorbonne toutes ces années après, pour un livre qui évoque la double vie que j'y menais, voilà qui me fait drôle - et plaisir, j'avoue. Demain matin, en effet, Sébastien Rongier interviendra au séminaire Interarts de Paris sur le thème "Fiction et réalité". Voici la liste des auteurs dont il a prévu de parler.















La Sorbonne est citée dans Cowboy Junkies, ce qui n'est pas le cas dans Franck. Même chose pour le nom du groupe. A l'inverse, Franck n'est pas nommé dans Cowboy Junkies. Fleury, Lille, Loos, Béthune, la gare du Nord non plus.

Préciser / ne pas préciser le nom propre, c'est quelque chose que j'ai eu à l'esprit constamment en écrivant ces deux livres. Dans le documentaire de Stéphane Mercurio sur les familles de prisonniers, A côté (projeté hier soir à Montreuil), une femme détaille les mensonges qu'elle est obligée d'inventer pour ne pas expliquer  le "métier" de son mari. Ne pas dire où l'on va, ne pas nommer, substituer d'autres mots, retourner sans cesse à l'invisibilité : aurait-il été possible pour moi d'écrire ces deux textes en ne "trouant" pas, ne perturbant pas le récit par du non-dit, de la fiction, des aberrations, des mentions de films et de livres, une certaine rythmique ?
Non. 

Livre(s) cité(s) demain, en Sorbonne : sensation de fermer la boucle, enfin.

mardi 26 avril 2011

Montreuil, tourner autour

autour de la bibliothèque Robert Desnos

tourner, photographier



rien d'autre à faire en attendant















noter les immeubles, progrès du printemps





un 8 avril, l'après-midi
















penser à



















se rappeler l'hiver














aller lire


mercredi 13 avril 2011

à Montreuil, toujours

Tandis que mon prochain livre, Des Oloé, espaces élastiques où lire où écrire, ne devrait plus tarder à voir le jour, publié par les éditions D-Fiction, que j'ai repris mes projets de textes sur les décors et pense à remettre en éveil la ville haute, un peu assoupie ces derniers temps (difficile de tout faire !), à la médiathèque Robert Desnos de Montreuil la résidence se poursuit. 

Voici donc les prochaines dates : 

Le 26 avril, à ma demande, la documentariste Stéphane Mercurio viendra présenter A côté, film tourné en 2008, consacré aux femmes et familles de prisonniers, dont voici la bande-annonce : 



Le 30 avril (un samedi après-midi), aura lieu un café littéraire organisé par les bibliothécaires, qui parleront d'auteurs injustement tombés dans l'oubli, selon eux. Ils m'ont proposé d'être associée à cette rencontre et j'ai choisi d'évoquer les livres de Georges Hyvernaud.














Enfin, le 19 mai, en soirée, Pierre Ménard viendra présenter son projet intitulé Les Lignes de désir.

C'est tout pour l'instant (trois dates seulement ? Qu'on se rassure, ça ne saurait durer !)

Par ailleurs, les ateliers que j'ai menés avec des élèves de seconde du lycée Jean Jaurès ont donné lieu à un blog, Montreuil décor ville, que l'on peut découvrir ici.

Très occupée par Décor Lafayette et Dita Kepler (si ça peut remonter le moral de quelqu'un, suis d'une lenteur, pour écrire !) je n'ai même pas le temps de raconter ici Hors Limites ou le Printemps des poètes. Les lectures s'éloignent déjà, ont demandé pas mal de travail, ont permis d'expérimenter certaines choses (lire avec une comédienne, effectuer un montage de sept textes, mêler travail en cours et livre écrit il y a dix ans). En fin de résidence, vers octobre, j'essayerai de revenir sur tout cela (Tu parles, tu essayeras de boucler ton manuscrit et de trouver comment gagner ta vie ! me dit une voix...)

(photographies : détail de la couverture du livre réalisée par Hélène et Juan Clemente à partir d'une de mes images / photographie de Pierre Ménard)

jeudi 7 avril 2011

Hors Limites : lecture avec François Bon et Maylis de Kerangal

Demain vendredi 8, à 18h30, le festival Hors Limites propose une soirée intitulée Des livres pour habiter l'espace. En compagnie de François Bon et Maylis de Kerangal, j'y lirai un montage de textes, parus ou en cours d'écriture, dont voici le détail : 

1. Des Oloé, espaces élastiques où lire où écrire, livre à paraître très bientôt aux éditions D-Fiction
2. I don't get it, texte paru lors des vases communicants sur le site Liminaire de Pierre Ménard
3. Fenêtres Open space
4. Décor Lafayette (texte en cours)
5. Cowboy Junkies
6. Franck
7. Dita Kepler (texte en cours)

Salle Boris Vian, bibliothèque Robert Desnos, métro Mairie de Montreuil. 










(et maintenant je me tais !)

lundi 4 avril 2011

Habiter

tel quel,  notes prises à la vitre, samedi matin dans le RER C, durant l'atelier d'écriture de François Bon qui nous dit ici ce qui s'est réellement passé durant le trajet tandis que Pierre Ménard twitte, écrit et photographie, que Christophe Grossi écrit, s'interroge, que Nicolas Bleusher écrit, trace la ligne (et se moque ;-), que Sylvie Tissot géolocalise, que Louise Imagine nous inventorie (pas tous) et que Maryse Hache, de loin, participe aussi.


habiter

dans le rayon de lumière chaleur peau rougie et dans la vitesse entendre une voix qui parle de foule, d'être serrés dans un wagon
le soleil nous suit, par les reflets on vivrait près de l'eau
Choisy
sauter ne pas sauter ne pas se souvenir du nom du fleuve, se rappeler la date
entendre parler de la passerelle qui date des années 60
jour de juillet où quitter le monde
à 18 ans ?
non aller habiter Jourdain
reprendre la main tenir les rênes
dépasser maintenant ce pont, cette passerelle être percuté ce serait ça, vivre ?
habiter la pelouse, les brins d'herbe
entrer chez cette femme, de dos, c'est samedi, elle nettoie les vitres
(laisser ses vitres sales pour faire masque, écran, refuser le rideau j'entendais sur le quai)
se débarrasser de Choisy
de la date
suivre le fleuve en pensant « habiter »
péniche
c'est la Seine ?
avoir raconté le matin, dans la station de RER, que le tout premier lieu ce fut un cargo
le tout premier
lieu de la conception
entre la Corse et le continent
habiter un phare
l'avion en chute libre
et les fleurs du cerisier
habiter la matière
c'est ça
passe-murailles
toujours voulu être
dans l'atome le grain la nervure
la rougeur de la joue
le mot carrelage écrit carré sur un mur gris
Juvisy
n'ai écrit jusqu'ici aucun nom de ville Choisy a tout bloqué

habiter les cheminées
s'insérer
par les volets fermés visiter les couloirs
et
charpente de fer
visiter ce qui s'écrit sur les murs des cabanes
entrepôts
arbres morts
avoir dépassé depuis longtemps
Choisy
tu vois j'aurais sauté je n'aurais pas vu le carré de pelouse de Savigny-sur-Orge
je n'aurais pas connu
ceux du quai, du wagon
joue bientôt rouge
une vie d'adulte devant
18 ans et tout le sursis depuis
c'est écrit : « zone de croisement des camions »
habiter un camion, faire la route
habiter la cabine des deux d'Au fil du temps
vivre sur la pente, dans le dénivelé
par delà les grilles
le choc
revient
maintenant c'est un lac
habiter un lac ? non
habiter la ligne ? toutes
impression que tout le monde est mort, dit-il
(pétanqueurs c'est tout)
puis la ville dégage
se dégage
réapparaît
nous ne sommes pas venus faire des phrases
nous sommes venus VOIR
l'homme en tee-shirt de Longjumeau
comment habiter le long des rails
comment supporter tout ce bruit que du wagon on ne perçoit pas

c'était impossible de ne pas écrire là-dessus, n'est-ce pas ?

plus d'eau
fleurs
entreprise de décoration
forêt (tentative de)
tout ce travail pour s'accrocher
entrer dans le monde le laisser
construire ériger bâtir former
accepter le déséquilibre
que certains murs tombent
même porteurs ?
va savoir
carrières, ce qu'on creuse là ça va trop vite
ça continue de se tenir
secret

vertige
on surplombe
habiter la poubelle c'est encore possible
wagon changé en librairie (je me souviens du)
se perdre dans un cube de verre

négocier
non
enjamber
traverser une passerelle qui n'a plus rien à voir
de haut on découvre le changement de chauffeur
la rue offerte
passerelle sur laquelle le 17 septembre 1990 sont morts deux convoyeurs de fonds
c'est comme ça
un ou deux ?
à Choisy
la date de tout à l'heure n'était pas celle-là
on s'égare
le pont c'est aussi
le pont de nos bras
les jours s'en vont je demeure

habiter l'hôtel première classe
titre trompeur
vivre dans les arceaux, bosquets
buissons, fagots
être un troupeau de feuilles
se souvenir qu'elle existe, la tempête de 1999, dans les troncs tombés, jamais ramassés
encore aujourd'hui ?
(et tigre sur une citerne qu'on partage, voilà qui change tout)

de la forêt, du bois
tout de suite un panneau
DANGER
c'est écrit rouge orange
tant pis
tant mieux
pas grave
autre chose

dimanche 3 avril 2011

RER C




























vois passer le twit, rendez-vous dans le RER C, RER C, d'accord, pas de problème, évidemment l'idée d'écrire à la vitre, dans la vitesse, d'écrire avec d'autres surtout, et j'espère alors en connaître certains













je ne pense pas à Fenêtres, pas à Franck dont je lirai un passage dans l'après-midi à Montreuil, d'ailleurs si je suis là, dans le RER C ce matin, c'est aussi pour cette raison













ne pas y penser, se sentir entourée, présence du présent découpé en nano secondes, pesant de tout son poids, l'envie de le retenir, de laisser filer













pesant de tout son poids léger

















mais voilà que Choisy-le-Roi, d'entrée, vient sectionner la première phrase (je pensais premier jet, prise de notes, pas plus, n'ai jamais pensé construction), s'en empare jusqu'en fin de trajet













ce n'était pas prémédité
RER C n'était lié à rien, croyais-je, ou à si peu
brusquement c'est là
en pleine tête, de face

alors se décider
penser eau, pont, passerelle
et parallèlement  tenter des incursions, résister, chercher dans le paysage présent
se servir du soleil pour modifier le regard
cacher aux autres quelque chose, aussi, évidemment

















enfin, à quai, souffler, retrouver ce qu'on regarde depuis des années











































(et sous ces lignes, s'ils ne sont pas en photo ceux qui écrivent sont bien présents)













impossible de lire ce texte en public, ensuite, dans le wagon du haut, il ne faudra pas m'en vouloir
au retour
le taper
l'envoyer tel quel (il se termine par tant pis tant mieux pas grave autre chose et celui-là aussi pourrait finir comme ça)
il est chez François, sera donc en ligne
ici, je ne sais pas encore













merci à qui m'a accompagnée

vendredi 1 avril 2011

Jourdain, rue du Jourdain














Demain, vers 17h (je passe en dernier), "conférence" sur les pages Jourdain / rue du Jourdain de Franck à la bibliothèque Robert Desnos de Montreuil : tracer, pousser la porte, se réfugier dans un jardin où l'on trouve des violettes, des genets, un bananier japonais...

(et ici deux lions pour mon camarade des vases co)

Après la bataille, par Piero Cohen-Hadria

Mon père, ce héros au sourire si doux,

Suivi d'un seul housard qu'il aimait entre tous

Pour sa grande bravoure et pour sa haute taille,

Parcourait à cheval, le soir d'une bataille,

Le champ couvert de morts sur qui tombait la nuit.

Je ne sais si c’est parce qu’il se prénomme Victor que je l’aime, le poète arrivé ici alors que son siècle avait deux ans. Mes deux grands-pères se prénommaient ainsi et sans doute est-ce une raison, ou l’une des, pour laquelle mon frère lui aussi le porte.
Depuis que, dans ma cinquième année, je crois, j’ai vu (avec lui) dans un cinéma cette « chose venue d’un autre monde » ( 1951, Hawks et Nyby), terrorisé, pour la première fois, j’ai toujours aimé et senti qu’au cinéma se tramait quelque chose de terrible et de doux, de tendre et de tragique.
Plus tard, j’ai rencontré bien d’autres films et ce sont surtout les acteurs (moins les actrices)









Simone Signoret, Lino Ventura, Paul Meurisse








qui m’impressionnèrent. Probablement parce que « mon père, ce héros au sourire si doux » s’en est allé si tôt. Je suppose. Plus tard, plus que les acteurs









Marcello






je crois que ce sont les réalisateurs que j’ai aimés.







Luchino Visconti








Pas spécialement Luchino Visconti, d’ailleurs - je n’ai pas vu « Mort à Venise » -1971- parce que j’aime peu les turpitudes des vieux compositeurs, ou le lido, mais j’aime encore assez Dirk Bogarde, pour son humour probablement – et parce que je le confonds avec James Mason -, je l’aime dans « The Servant » (Joseph Losey, 1963 – même si de Losey, je préfère de beaucoup « Monsieur Klein », 1976). Même si Burt Lancaster, (« Le Guépard », 1963), et Delon et Claudia, les mouchoirs de soie dans les tiroirs des commodes et la lumière de Guiseppe Rotunno (celui qui a éclairé « Les aventures du Baron de Münchausen » …) , ou alors Kirk Douglas (comme il lui ressemble), Cary Grant (« North by Norwest », « la Mort aux trousses », Sir Alfred, 1959) et Montgommery Clift (« Les Misfits », « Les Désaxés », John Huston, 1961, ou alors, avec Liz, « Soudain l’été dernier » , Joe Mankiewicz, 1959), peut-être, eux aussi m’émouvaient.
Plus que les femmes ? Probablement pas, toujours présentes, Monica, Ava et bien d’autres, Anna Magnani, ma mère de substitution, tout comme pourrais-je dire Sam Fuller, ou Stanley Kubrick auraient du être mes pères...





Stanley Kubrick







Souvent, lorsque nous en parlons avec mon frère, à la terrasse du café, même en hiver parce qu’il fume, nous évoquons ces gens 





Jean Pierre Melville








d’autres







Roberto Rosselini








et parfois des femmes








Chantal Ackerman






C’est qu’aux cinéastes, comme aux actrices et aux acteurs, notre histoire nous a habitués. Notre mère « chtrattait » lorsqu’elle avait quinze ou seize ans, juste avant guerre, pour ne pas aller à l’école (elle séchait les cours, elle allait au cinéma, elle aimait Errol Flynn, Steward Granger, Ray Miland et Spencer Traçy…).
Alors, regardant passer les voitures décapotables, sur la place, devant nous, tout en évoquant Jean Renoir, ou Julien Duvivier ou encore Henry-Georges Clouzot et Pierre Fresnay, nous rions, et je me souviens de mon père au volant de sa 404 station-wagon grise, qui déclamait un dimanche matin, en souriant :

Et vise au front mon père en criant: "Caramba! "

Le coup passa si près que le chapeau tomba

Et que le cheval fit un écart en arrière.

" Donne-lui tout de même à boire ", dit mon père.

Lui se prénommait Gilbert, et qu’ici, comme à tous ceux que j’aime, ces mots soient dédiés.

*
Texte de Piero Cohen Hadria avec lequel j'échange aujourd'hui, premier vendredi du mois, le contenu de mon blog : vases communicants liés au cinéma, que nous aimons tous deux. On peut retrouver mon texte ici.