"Pourquoi les lieux sans qualité viennent-ils toujours à bout des réticences de ceux qui les occupent ? Pourquoi les résidents refusent-ils souvent de reconnaître leur laideur quand les passants occasionnels n'ont aucune peine à l'admettre ? C'est qu'à la longue, les lieux de résidence et leurs environs (quels qu'ils soient) finissent toujours par impressionner la conscience de l'habitant, par devenir comme un autre soi-même, des sortes de corps extérieurs dans lesquels on s'est réalisé jour après jour, où l'on a joué son existence (raison pour laquelle on retrouve souvent avec émotion les anciens lieux de ses souffrances ou de ses bonheurs)... Il y a aussi que nous ne nous installons jamais innocemment quelque part. Les lieux nous habitent autant que nous les habitons, nous les supportons comme les corps qui envahissent les trottoirs à heures fixes, les couleurs, la pluie qui tombe, les mouvements, les pollutions, les objets environnants, les chats, les chiens... Et notre vue se laisse plus facilement corrompre qu'elle est porteuse, sans que nous en ayons forcément conscience, d'une masse d'informations anciennes, de sensations fugitives, de bonheurs éphémères, de souvenirs... Chaque regard porté sur le paysage intègre les traces de l'existence passée. Nous voyons bien plus que ce que le présent du réel nous donne. Et le poids de cette réalité invisible pèse sur notre conscience comme le désert pèse sur le regard du bédouin, la neige sur celui de l'Esquimau..."
Raymond Bozier, Fenêtres sur le monde, Fayard, 2004, pages 116-117. Passage recopié dans la loge-bureau de la Bellevilloise, devant la fenêtre embuée où l'on distingue l'église Notre-Dame de la Croix et, derrière une antenne de télévision, presque aussi mince, la tour Eiffel.
Raymond Bozier, Fenêtres sur le monde, Fayard, 2004, pages 116-117. Passage recopié dans la loge-bureau de la Bellevilloise, devant la fenêtre embuée où l'on distingue l'église Notre-Dame de la Croix et, derrière une antenne de télévision, presque aussi mince, la tour Eiffel.
Résidence, résistance hein... il est bien vrai, ce texte, et fait penser aussi à ce que nous savons de nous-mêmes lorsque nous côtoyons certains lieux où jamais nous n'irions sinon : les Pinçon- Charlot disent qu'on n'entrerait jamais (jamais) dans une boutique de l'avenue Montaigne où les manteaux, les robes les pompes même valent des milliers d'euros : qu'est-ce qu'on aurait à y faire ? Juste regarder ? On n'a pas le droit : et ainsi, notre regard (non plus que notre façon de nous comporter dans ces lieux : comment on fait ?...) ne risque pas de se faire au luxe, ni aux choses dispendieuses, deux mois de loyer pour une paire de pompe, c'est dingue (oui, dingue, fou et incroyable, justement : hors de portée)...
RépondreSupprimeroui, bien d'accord, et c'est sans doute pour ça que dans mon prochain livre ("Franck"), je détourne parfois quelques éléments de luxe de leur destination...
RépondreSupprimertiens, je ne me souvenais plus, et c'est un des passages que j'ai noté (avec son développement dans un des derniers textes)
RépondreSupprimer