jeudi 21 mai 2009

intérieur nuit

(texte écrit par impossibilité d'écrire)


Huit jours déjà que toute vie extérieure semble s'être arrêtée, coupure si nette, franche, qu'il paraît impossible de projeter quoi que ce soit pour les jours à venir, même si une amélioration est censée suivre. Ce qui est complexe, c'est que la migraine empêche de penser la situation : on peut suivre les méandres d'une pensée extérieure, et plus elle est construite plus c'est simple (c'est pourquoi j'écoute France Culture - je ne pourrais pas suivre une conversation à bâtons rompus, sans logique apparente) ; mais on ne peut pas construire sa propre réflexion, prendre du recul, faire des choix. Décider si l'on a faim ou pas est compliqué, c'est dire.
On ne peut pas faire des listes, s'organiser, prendre des décisions. On ne peut pas nommer les choses. On ne peut pas s'expliquer. On est complètement abruti, par la douleur, par la fatigue, puis par la peur de la douleur. On sait évidemment qu'il faut éloigner toute source de stress, donc toute colère, ne pas revenir sur ce qui s'est passé. La meilleure chose à faire, on s'en rend compte, lorsque la pure douleur s'éloigne, c'est de se glisser dans une narration extérieure. Mais on ne peut pas lire plus de quelques instants ni regarder un film, alors au fil des jours, et des progrès, on attrape des bribes, on bricole : trois cases d'une BD de Picsou magazine, une phrase tirée d'une interview d'actrice à Cannes, le début du Fantôme de Mrs Muir, un paragraphe des Boutiques de cannelle de Bruno Schulz, une moitié d'émission sur l'économie de la Roumanie... On ne sait plus, on mélange, on oublie. On se donne le droit d'oublier, de ne pas suivre, de ne pas comprendre. Il n'y a plus d'enjeu.
On est tenté d'essayer de comprendre comment on pense, dans ces cas-là, comment notre cerveau fonctionne, mais il faut abandonner cette tentation à l'instant et on le sait. Il ne faut plus forcer la marche, c'est fini, on a bien compris. Et quand on arrive à écrire on ne cherche pas à écrire mieux (c'est clair et net dans ce billet).
Ce que les autres nous racontent, nous expliquent, on ne le prend plus que comme des cadeaux, outils destinés à faire dériver, dévier la migraine. La douleur contient sa propre manipulation mentale par blocage des anticipations, des rapprochements, des projections. L'idée est donc d'aller au plus simple, toujours, le plus simple étant : tout sauf sa propre pensée.

Le plus simple au début : l'intolérance au bruit et à la lumière. On crie non et c'est tout.

2 commentaires:

  1. Exploit! que de trouver quand même les mots pour dire l'expérience de la migraine, redoutée et pourtant surgissante, dominante, complice de l'aboulie qu'elle impose.

    Migraine qui forçait une fois installée l'attention à réduire farouchement l'être au monde, hors de la coenesthésie, quand son et lumière paraissaient contenus derrière portes fermées et consignes de silence mais laissait place à l'hypersensibilité olfactive.

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  2. ah le parfum de l'ambulancier, comme une suite de flèches dans le crâne...
    Merci pour le message.

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