vendredi 14 novembre 2008

Orgues de Flandre










J'ai vécu rue de Flandre (désormais avenue), dans le XIXe arrondissement, entre 1999 et 2000, à mi-chemin des stations Stalingrad et Riquet, dans un immeuble qui donnait sur deux cours. Chaque matin, je prenais la ligne 2 pour aller travailler à Courcelles. Chaque soir, j'allais chercher mon fils chez la nourrice rue Riquet au seizième étage d'une tour qui donnait sur le bâtiment du 104 et les Orgues, cet ensemble qu'on peut voir en partie et de loin sur la photo de PdB ci-dessus (prise rue de Flandre, justement).

Arrivée dans le quartier enceinte de sept mois, en été, j'ai passé un après-midi à photographier les Orgues sous un ciel très bleu. Agressée par cette architecture saillante, complètement écrasante vue du trottoir, j'ai essayé de lui opposer le maximum de rondeur, pour l'apprivoiser. Ca n'a jamais marché. Les Orgues sont restées telles quelles : des haches, des couteaux, des fenêtres dans le vide ; un square minuscule au milieu des tours, qu'il est question désormais de faire surveiller par des caméras ; une suite d'infrastructures inadaptées (poste trop petite pour le monde qui y a son compte, etc).

En ce moment, la tension est très forte dans le quartier, on le sait. Et en même temps, on ne peut s'empêcher de souffrir que la presse le réduise à ça (air connu).

A l'époque, c'était déjà difficile : le crack à Stalingrad, dont je parle un peu dans Fenêtres. Ce que je ne disais pas, c'étaient les détours avec la poussette pour rejoindre Riquet en évitant la ligne droite, rue du deal où cent paires d'yeux vous regardent, insistent en espérant vous faire presser le pas (c'est vrai, quoi, à la fin : qu'est-ce que vous foutez là ?). Arrivée vers les Orgues ça allait, dès que montée chez la nourrice : grande pièce bleue, jouets, tapis, plantes et photos, parfum de cuisine mauricienne qui donnaient au quartier son centre. Mais en bas, même sans que rien ne se passe, sans rien qu'on puisse en dire, les rues, les carrefours restaient sur leurs gardes : pas moyen d'y trouver sa place, même dans le mouvement, malgré les arbres, les bancs, le ciel large qu'on ne voit pas ailleurs. Pourquoi ?

Seul bon souvenir : le "parcours d'obstacles" avec le petit, tous les soirs, quand il a su marcher et qu'on a laissé tomber la poussette : une rambarde, un muret, l'escalier, une descente, une montée, un plat, etc. Une petite création à deux, danse du bout de la main qui tient la main de l'autre.










(une des tours des Orgues, au fond, vue du 104)

Aujourd'hui la rue de Flandre reste dans sa crispation, son malaise, alors que les quais de Loire et de Seine se sont métamorphosés, ont pris de l'ampleur avec l'arrivée du second MK2, d'un restaurant sur la place de Stalingrad. C'est facile à saisir : entre ces deux parallèles, Flandre et les quais, l'écart est toujours palpable, les mondes ne se mélangent pas (sauf sur la place, et c'est nouveau). C'est dû à quoi exactement ? A la laideur des Orgues, qui fait repoussoir ? Au fait qu'il n'y ait rien à voir ? Et est-ce que c'est en train de changer ?

D'autant qu'on s'y attache, même sans s'en rendre compte, aux couteaux et fenêtres dans le vide.

4 commentaires:

  1. C'est vrai, on se demande un peu pourquoi cette "avenue" reste une sorte de no man's land, quelque chose comme juste une artère, mais rien d'autre, et je crois que les immeubles nouveau du côté gauche quand on va vers la porte, y sont pour beaucoup (tous sont neufs d'ailleurs de ce côté là)... Remarque aussi que entre le canal et l'avenue, c'est quand même assez moyen aussi, non? On pourrait comparer avec l'avenue Jean Jaurès aussi...
    Meric pour la hoto...
    PdB

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  2. Bonjour PdB,

    A propos de l'avenue et des quais, leur parallèle :
    je vivais donc entre l'avenue de Flandre (première cour) et le canal (seconde cour). A l'époque, le quai de Seine était encore assez désert, le quai de Loire plus encore : juste les boulistes, pas de pique-nique par terre (à même le quai entre les crottes : ils sont bizarres quand même!), de café-terrasse,de librairie...
    L'avenue de Flandre, elle, c'est toujours : boutiques de chaussures en plastique, de vêtements mal coupées qui disent aux passants : vous êtes pauvres, vous êtes donc forcément voués à la laideur... Et donc c'est quand que ça change, ça ?
    Merci pour le message, à bientôt...

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  3. Le billet est intéressant... et un peu effrayant aussi! Habitant rue de Crimée côté avenue de Flandre depuis 2 ans, je n'avais jamais eu connaissance de ces évènements (très) violents auxquels tu fais référence!
    Quant à l'avenue en elle-même, en effet, je crois que tout est dit. Je te rejoins aussi sur cet étrange réaction qui fait que malgré tout... on s'y attache.

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  4. Bonjour Romain,

    Merci de ton message. Pour te répondre : la rivalité Riquet-Curial, ces derniers temps, est pourtant souvent présente... Quant à mon texte, il est orienté, aussi, par cette perception des lieux, de ce qui s'en dégage, que l'on peut avoir quand on vient juste d'être parent : tout s'amplifie et se complique, tout heurte plus encore, d'autant que l'on n'a plus la même liberté d'aller et venir qu'avant (on ne peut pas toujours échapper à ce qui oppresse). D'où cette noirceur, sans doute, aussi... C'est un sentiment personnel...

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