vendredi 10 octobre 2008

Je vous jure que je n'ai jamais rien fait avec Albertine !

Me rapprochant malgré moi du monstre qui m'attirait je répondis : «Comment ! vous n'allez pas me faire croire que de toute votre bande il n'y avait qu'Albertine avec qui vous fissiez cela ! — Mais je ne l'ai jamais fait avec Albertine. — Voyons, ma petite Andrée, pourquoi nier des choses que je sais depuis au moins trois ans ? Je n'y trouve rien de mal, au contraire. Justement à propos du soir où elle voulait tant aller le lendemain avec vous chez Mme Verdurin, vous vous souvenez peut-être...» Avant que j'eusse combiné ma phrase, je vis dans les yeux d'Andrée, qu'il faisait pointus comme ces pierres qu'à cause de cela les joailliers ont de la peine à employer, passer un regard préoccupé, comme ces têtes de privilégiés qui soulèvent un coin du rideau avant qu'une pièce soit commencée et qui se sauvent aussitôt pour ne pas être aperçus. Ce regard inquiet disparut, tout était rentré dans l'ordre, mais je sentais que tout ce que je verrais maintenant ne serait plus qu'arrangé facticement pour moi.
À ce moment je m'aperçus dans la glace ; je fus frappé d'une certaine ressemblance entre moi et Andrée. Si je n'avais pas cessé depuis longtemps de raser ma moustache et si je n'en avais eu qu'une ombre, cette ressemblance eût été presque complète. C'était peut-être en regardant, à Balbec, ma moustache qui repoussait à peine qu'Albertine avait subitement eu ce désir impatient, furieux, de revenir à Paris. «Mais je ne peux pourtant pas dire ce qui n'est pas vrai pour la simple raison que vous ne le trouvez pas mal. Je vous jure que je n'ai jamais rien fait avec Albertine et j'ai la conviction qu'elle détestait ces choses-là. Les gens qui vous ont dit cela vous ont menti, peut-être dans un but intéressé», me dit-elle d'un air interrogateur et méfiant. «Enfin soit, puisque vous ne voulez pas me le dire», répondis-je, préférant avoir l'air de ne pas vouloir donner une preuve que je ne possédais pas. Pourtant je prononçai vaguement et à tout hasard le nom des Buttes-Chaumont. «J'ai pu aller aux Buttes-Chaumont avec Albertine, mais est-ce un endroit qui a quelque chose de particulièrement mal ?»

Marcel Proust, Albertine disparue, page 2863

(ma page lue pour le Baiser de la matrice : drôle que ça se termine par les Buttes Chaumont, tout de même !)

4 commentaires:

  1. Tu l'as lue, alors ? que ça se termine par les Buttes Chaumont, c'est un genre de signe virtuel qui devrait de donner une sorte de croyance magique dans les vertus et de Proust et du territoire, tu ne crois pas ? hein ? Croire...
    En tout cas, je ne souscris pas vraiment au fait que ce soit un lieu assez mal fréquenté (mais je n'ai jamais trop aimé ce jardin-là, en vérité, non plus que le parc Montceau, les Tuileries ou les jardins en bas des Chaps Elysées pour Marcel peut-être un peu mais sinon...)
    PdB

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  2. Oui, je l'ai lue et je conseille de le faire, franchement.
    Et pour les signes, oui, j'ai même tendance à penser que ce qui nous entoure en est saturé : on les reconnaît, on les choisit, ou non...
    Quant aux Buttes, pour les fréquenter souvent, je constate qu'on ne les voit pas sous le même angle selon ce qu'on a à y faire : marmots, jeunes mariés, jeunes dealers, joggers, footeux, familles, jardiniers, pompiers, surveillants, dragueurs, éleveurs de chiens, amateurs de zen ne prennent pas les mêmes chemins, les mêmes allées. C'est très délimité, géographiquement parlant...

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  3. la pétanque aussi en haut
    je crois que c'est le côté un peu encaissé dans certains endroits et je ne suis pas sûr d'y trouver du charme (comme tu dis: des signes) voilà : même la folie là-haut me semble, parfois urfaite... mais ce que j'en dis c'est juste moi
    les jardins de belleville c'est mieux déjà (sans doute parce qu'ils sont tournés vers Paris alors que les buttes s'ouvrent plus vers l'extérieur, je ne sais pas...)

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  4. moi ce que j'aime, au fond, c'est y entrer par l'avenue Mathurin Moreau et voir s'y succéder d'arbre en arbre toutes sortes de feuilles, de formes de couleurs diverses...

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