mercredi 20 août 2008

Fenêtre de Manhattan

"Je me souviens de cette fenêtre face aux tours Art Déco du Waldorf Astoria, éclairées d'en bas par de puissants projecteurs, prises dans les tourbillons de la tempête de neige. Vivre bien protégés et en sécurité, à l'abri de la tempête qui, dix étages plus bas, fouette la chaussée et les trottoirs, les carrefours acérés où bondit le vent polaire comme une bête de proie, gelant le visage et transperçant les vêtements d'une furie d'aiguilles et de lames de glace, vous traversant les os du crâne jusqu'au bord de l'évanouissement si vous n'aviez pas pris la précaution de vous couvrir la tête. La vie entière résumée dans l'espace cubique d'une chambre d'hôtel, dans la relation élémentaire des légendes sur l'origine du monde : une femme et un homme temporairement dépouillés de passé et d'avenir, de parenté, de responsabilité, de métier, et même dispensés par la tempête de neige des obligations du tourisme, une femme et un homme seuls dans une chambre impersonnelle et confortable, comme dans ces chambres austères que l'on voit si fréquemment sur les tableaux d'Edward Hopper, souvent depuis un point de vue situé à l'extérieur, au niveau de la rue ou de ces trains surélevés qui en d'autres temps traversaient certaines avenues à hauteur du troisième ou du quatrième étage, exposant aux voyageurs penchés contre les vitres des images fugaces et isolées de la vie des gens à l'intérieur des appartements."

Antonio Muñoz Molina, Fenêtres de Manhattan, traduction de Philippe Bataillon.

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