jeudi 31 mai 2007

La femme au petit renard

Elle sacrifiait cinquante-cinq francs à l'achat d'un billet de métro, elle fredonnait, elle se prenait pour un petit papillon avant l'orage, elle descendait sur le quai de la station Jaurès, des trains l'amenaient à la station Strasbourg-Saint-Denis où elle restait longtemps. A sept heures elle s'asseyait à côté du portillon, près de deux employées qui causaient en surveillant les départs, les arrivées, la descente, la montée des voyageurs. Le flux et le reflux la rassuraient. Le conducteur du train lui prenait et lui rendait autant de troupeaux qu'elle en désirait. Leurs rides, leurs soucis, leur somnambulisme, leur fatigue, elle ne voulait pas les voir. C'est leur chaleur qu'elle leur demande : elle se prive de pain, ils la réchaufferont. Elle voyage assise dans un souterrain où les doigts des dactylos, le poignet des emballeuses, la taille des vendeuses de chaussures, le front des employés de banque, l'oreille de la standardiste, le pied du facteur l'émerveillent.

La Femme au petit renard, Violette Leduc, Gallimard, 1965, pages 20-21.

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