dimanche 26 mars 2017

Histoire des décors













Il y a quelques années, j'ai retrouvé un cahier dans lequel j'avais consigné mes projets d'écriture du moment (depuis longtemps j'ai, sans le vouloir, sans le chercher vraiment, l'équivalent de dix ans d'écriture devant moi, soit entre cinq et dix projets de livres). Une page faisait mention de trois "décors", trois livres à écrire pour arriver à un ensemble et les notes étaient très précises : il y était question de Décor Lafayette, de Décor Daguerre et de Dita Kepler, nommés ainsi, et de la raison d'être de chacun.










J'ai été très étonnée de découvrir que le cahier datait de 2006. A l'époque, j'écrivais Franck depuis un an, n'en étais encore qu'au premier tiers. Tout entière plongée dedans, à un point que je n'ai ensuite plus retrouvé, je crois. Immergée, envahie durant des mois... Et pourtant, si on se fie au cahier, j'avais déjà idée de la suite : une extension de la notion de lieu (à l'oeuvre dans Fenêtres, Franck, Cowboy Junkies, Autour de Franck, Tu n'es jamais seul/e dans la nuit, Des Oloé et Laisse venir, si on y réfléchit) à celle de décor, prise dans une acception très large. 
















Décor, m'avait dit alors le Robert : ce qui tient de la décoration mais aussi du naturel, de l'artificiel, du fond, de l'arrière-plan, de la toile peinte, du lieu de l'accident (se retrouver dans le décor). Bref, tout et son contraire, le monde entier quelle que soit la scène, le virtuel, le réel, le factice... Tout sauf le personnage et l'histoire.













Voilà qui m'allait parfaitement. J'allais pouvoir faire des écarts. Même si c'était déjà le cas dans Franck (un personnage, appelé "l'homme", se métamorphose tout au long du texte jusqu'à devenir parfois une boule de papier qu'on froisse, et il est pour moi essentiel, c'est le point d'équilibre du livre, qui n'est ni une biographie ni une autobiographie pour cette raison même), ça restait discret. 



















Mes notes :
Décor 1 : Décor Lafayette. Le grand magasin, lieu de l'ancrage dans le sol, monument historique qui représente la France aux yeux des touristes, inamovible sur son boulevard, et pourtant conçu dès le départ comme devant faire tourner les têtes, effacer les repères : toujours en mouvement, sous peine de disparaître.
Décor 2 : Décor Daguerre. La rue Daguerre filmée en 1975 par Agnès Varda, lieu de l'immobilité selon elle (il ne s'y passe rien), fixé pour l'éternité sur pellicule et pourtant relégué à jamais dans le passé. 
Décor 3 : Dita Kepler. Là, ce n'est pas le décor passé au premier plan qui devient personnage, mais l'exact contraire : le personnage, qui n'en est plus un, a perdu son statut au profit de celui d'avatar d'une plateforme virtuelle, se change en pans de décor pour réussir à progresser dans le monde réel où je le plonge.



















Ce qui pose la question de l'immobilité et du mouvement ici est rattaché à des questionnements sur le vacillement de l'identité, de la pensée, du langage, de la santé mentale, en tout cas dans mon esprit. D'où le désir de ne pas faire de Dita Kepler un livre, mais d'écrire simplement des textes qui seraient lus en public de temps à autres. Ne pas figer, ne pas fixer Dita Kepler.





J'avais - et j'ai toujours - l'idée des trois décors dans cet ordre-là. Pourtant, je les ai écrits et ils sont parus d'une toute autre façon. J'ai commencé à écrire du Dita Kepler en résidence au Cent Quatre, en 2009, tandis que j'attendais la sortie de Franck. DK, inspiré par le lieu en travaux ne fut en effet jamais autre chose, à cette époque-là, qu'un support de lectures en public. 
Ensuite, j'ai écrit Décor Lafayette. Premier croisement des deux à la Bellevilloise où, ne réussissant pas à poursuivre Dita Kepler, parasitée par le manque d'accueil du lieu, j'ai écrit le chapitre sur la géante exhibée au Palais Royal. Je m'en souviens car Lya Garcia était venue incarner les deux, géante et Dita.














Décor Lafayette, donc, et sa parution chez Inculte en 2013. Décor Daguerre aurait dû suivre et je l'ai écrit cette même année, tout en faisant pour la première fois (ou presque), apparaître DK sur un support d'édition : ce fut Journal du silence journal de la lutte, écrit sur Twitter et retravaillé pour remue.net avec Joachim Séné.












Mais pas de parution, finalement, de ce Décor Daguerre, manuscrit laissé de côté et retour à Dita Kepler grâce à deux propositions de publications : une chez Joca Seria (Ile ronde), l'autre aux éditions La Marelle (Anamarseilles) tandis que Décor Lafayette se retrouvait indisponible. 













Les trois décors, impossibles à lire en même temps ? Jusqu'à ce jour, oui, sauf à avoir le goût de la collection. 










Ce qui les unit, en tout cas, c'est ceci : à chaque fois, une femme marche, avance, arpente le décor. Dans DL, elle n'a pas de nom, elle est toutes les femmes. Dans DD, il s'agit très précisément d'Agnès Varda, et de temps à autres de moi. Dans DK, c'est Dita Kepler, qui porte un nom de femme sans en être une. Rue La Fayette, rue Daguerre, Second Life, Cent Quatre, Twitter, remue.net, lac de Grand-Lieu, quartier de la Friche à Marseille : en onze ans, le décor s'est étendu lui aussi.



















Jusqu'à il y a peu, j'étais incapable de savoir pourquoi cet ordre, DL, DD, DK. Maintenant c'est plus clair. 
Le premier dessine un arbre avec tronc et branches, mais sans racines : le tronc, c'est la rue La Fayette, les branches, les rayons des grands magasins.
Le deuxième lui ressemble, mais avec des racines : le tronc, c'est la rue Daguerre, les branches, les voyages de Varda et les miens, ses films, mes lectures ; les racines, ce sont les années 70, qu'elle montre et dont je me souviens. 
De ces histoires d'arbres j'ai déjà parlé ici, et plus d'une fois
Mais ce que j'ai compris il y a peu, c'est la jonction avec Dita Kepler : le dernier décor passe à l'horizontale. Les branches, les racines, c'est pareil. Sans début ni fin, capable de s'étendre perpétuellement, le dessin qui pourrait le représenter ne serait plus celui d'un arbre mais plutôt d'un rhizome.










(pardon, ici il s'agit d'une anamorphose)
Je livre là ce qui m'est venu au fil des années, de ces onze ans de décors : évidemment, je n'avais pas tout ça en tête dès le début. La forme rhizomique est celle qui me ressemble le plus, je crois, mais elle est difficile à transmettre, à faire comprendre : n'ayant pas de centre, de squelette défini, DK ne touche qu'un tout petit groupe de lecteurs. 

 







Parfois, ceux-là viennent dire : Dita Kepler, c'est moi !, ce qui me fait beaucoup de bien. 


Et donc aujourd'hui Décor Daguerre paraît, avec ses Demoiselles de Rochefort, ses débuts de la photographie, son boucher à l'heure de la sieste, son magicien anarchiste.
Pour l'instant, les gens le reçoivent, ne l'ont pas lu. Au moment où j'écris, il est en piles au salon du livre sur le stand de l'éditeur ; peut-être entre les mains de certains, dans la valise d'autres. Il est chez Agnès Varda, à la mairie du XIVe, chez le libraire des Buveurs d'encre...
Où va-t-il me conduire ? C'est à la fois la question qu'il me pose et le sujet du livre.















En attendant de le savoir, et même à l'accompagner comme on dit, je quitte le décor, en retourne à ce qui, en germe dans DD, m'occupe depuis trois ans : la question du portrait, du modèle, de qui regarde, est regardé. Un autre cycle, j'ai l'impression...
Et donc, à bientôt, bonne lecture ! Voilà ce qu'il me restait à dire, maintenant qu'il parle à ma place.

*

Note : les illustrations du billet suivent l'ordre des décors jusqu'aux photos du livre Décor Daguerre
Les plans de la rue La Fayette, tirés de DL, sont de Dominique Brenez ; les photos de l'arbre de mots-clés ont été prises par moi puis par les éditions de l'Attente ; les captures d'écran du Journal du silence de Dita Kepler sont celles du site remue.net ; les croquis d'anamorphoses viennent du livre Anamorphoses cité dans Anamarseilles. Quant à la petite photo de Marilyn, il s'agit d'un cadeau glissé dans le paquet par mon éditeur, que je remercie !

vendredi 24 mars 2017

au salon du livre demain

 

Plaisir des grandes premières : tandis que les éditions de l'Attente fêtent leurs 25 ans d'existence en étant présents pour la première fois au salon du livre de Paris, de mon côté je signerai pour la première fois un de mes livres sur leur stand.
(devinez lequel)
Bienvenue en K18, donc, demain samedi de 14h à 17h en ce qui me concerne. Et si vous êtes sages, je vous montrerai peut-être l'arbre de mots-clés qui a fourni la couverture de Décor Daguerre !

samedi 18 mars 2017

D'un texte à l'autre














A peine mise en ligne En friche, consacrée à la déambulation littéraire à Marseille, L'aiR Nu a fait paraître ces jours-ci une nouvelle page, In situ / Incipit : on peut y retrouver la première édition du festival du même nom, qui s'est déroulé en janvier dernier à la galerie Six Elzévir à Paris, laquelle accueillait également une exposition des collages de Mathilde Roux.














Côté collectif, nous avons été tous les quatre partie prenante de cette aventure, mais de façon différente : Mathilde a non seulement exposé, mais également mis en oeuvre et organisé les deux soirées de lectures avec Philippe Aigrain avant de concevoir la page web avec Joachim Séné, tandis que Pierre Cohen-Hadria et moi étions présents en tant qu'auteurs. 














Le texte de Piero, fragment d'un ensemble plus long à retrouver sur son site comme il l'indique au début de sa lecture, parle d'Amiens et de prison, de condamné à mort, de chanson, de géographie de la ville. Tout cela me touche au plus près et je le réécoute en écrivant ce billet. 














Nombreux ont été les textes à m'avoir marquée, de toute façon, durant ces deux soirées, lectures on ne peut plus variées que vous pouvez entendre directement ici.
J'avais choisi, de mon côté, de me servir de la thématique du festival (l'oeuvre littéraire imaginaire du créateur de la guillotine) pour me lancer dans ce qui, après Marilyn, devrait m'occuper un moment : la rédaction de ce qui s'appellera a priori Saint-Germain en Laye, sera lié de façon plus ou moins ténue à Décor Daguerre
(Il me semblait avoir écrit un texte simple, vraiment très simple, j'en suis moins sûre en le réécoutant, me dis : on verra bien quand il paraîtra, comme tous ceux du festival, sur le site remue.net.)














(un peu de château en attendant)

Quant à Décor Daguerre, il paraît la semaine prochaine, le 23, et j'en reparlerai ici dès que je le pourrai, mais on peut d'ores et déjà le trouver et le commander sur la page des éditions de l'Attente - ce depuis hier, précisément ! 
Vous pouvez également tenter d'en gagner un exemplaire en suivant le dernier épisode en date de la rubrique Service de presse de François Bon sur YouTube : c'est facile, il suffit d'y aller de son petit commentaire sous la vidéo.
















DD : le voici, le voilà, il arrive, jusqu'au salon du livre, même.

mardi 14 mars 2017

la villa, les rails



















Ce blog comme une respiration. Comme autre chose que le texte fermé dans son traitement de textes, lequel parfois avance, parfois inquiète, parfois permet lui aussi de respirer. 
J'avais envie d'écrire ici sur le séjour de L'aiR Nu à Marseille, sur notre déambulation mais je l'ai déjà fait en introduction de notre page web puis dans les carnets de résidence, l'espace réservé aux auteurs de la Marelle. Changer de support, est-ce se répéter ? Est-ce vouloir toucher de nouveaux lecteurs ? Seulement ça ?












Ne parler que voyage, paysage à la vitre, souvenir rapide d'Aix sous un ciel menaçant, jours plus doux à Marseille avec la Friche à traverser, les quartiers de la Belle de Mai, des Chutes-Lavie tandis qu'il n'y a toujours personne dans les rues en pente, que le château d'eau en haut du parc Longchamp disparaît sous les échafaudages, que l'entrée du parc sent le crottin (et les mats qui tintent au Vieux Port, cet hôtel où j'ai mal dormi, les méandres du musée... tout s'enroule, se déroule, disparaît dans le vent).



















De retour à Paris, j'ai passé plusieurs heures sur un petit enregistrement que j'ai effectué pour L'aiR Nu, texte qui recouvre en partie un autre texte, laisse entendre des bruits de travaux, de trains. Qu'est-ce que je voulais faire, à tenter d'effacer le texte initial écrit sur la villa par un autre expliquant que je ne pouvais l'écrire ? Quelle inquiétude se dessinait là ? 















Il faudrait dire les rires, le passage à la mer, les cafés, les envies de se revoir, les graphes et la friction des skates à l'entrée de la Friche, la musique entendue, les repas pris ensemble et pas seulement ce vertige né de l'absence de sommeil, du peu de mots disponibles, du tourbillon, vitesse de ces jours où tout ce qu'on rêvait advient. 













On regarde filer alors que c'est le présent encore. On sait bien que ça ne s'attache pas, glisse, ce présent parfait. Que ce n'est pas le moment d'écrire ni même de prendre des photos. Il s'agit d'écouter les gens, de les faire lire et de créer un site pour que quelque chose s'inscrive, se déploie.


Permette un jour d'aller ailleurs, déambulation qui nous a conduit en un an de Strasbourg à Marseille, devrait m'entraîner à Cannes au mois de mai et sur la Côte d'Azur en août. 
(mais oui !)
(monter un dossier, réfléchir, envoyer des mails)













Nous faisons, tricotons, oublions, repartons, discutons avec le sentiment, parfois, d'être devant un vide. Mais non. 













Mais non, au contraire. Tout est là qui tient dans le mouvement.